Le Journal de Montreal

Rire avec des prisonnièr­es

- MADELEINE PILOTE-CÔTÉ Chroniqueu­se et humoriste

Je ne vous parlerai pas de politique aujourd’hui, mais plutôt de ma mémorable soirée de mardi. Le temps d’un match d’improvisat­ion, je suis allée rire derrière les barreaux.

Il y a trois ans, à ma sortie de l’École nationale de l’humour, je me demandais ce que j’allais faire avec ce diplôme. Sincèremen­t, je ne voulais pas me pointer sur une scène et enfiler les gags. Je voulais changer le monde.

Mardi dernier, je n’ai pas changé le monde, c’est le monde qui m’a changée.

J’ai eu la chance, le temps d’un match d’improvisat­ion dans lequel je jouais, d’être en contact avec des femmes de l’Établissem­ent de détention Leclerc de Laval.

EXPÉRIENCE HUMAINE

Nous leur avons offert un spectacle, et elles nous ont offert une expérience humaine.

L’humour qui rend libre J’avais beau avoir regardé Unité9 , je l’avoue, j’avais peur. Peur de l’autre.

Quand j’ai vu ces femmes se taper sur la cuisse, s’étouffer de rire, se donner de petits coups de coude pour souligner un bon gag, j’ai ressenti qu’elles et moi étions les mêmes.

J’ai compris qu’il était impossible d’emprisonne­r le rire. J’ai réalisé qu’il a la capacité de transcende­r les peines et de se glisser entre les barreaux des différence­s.

S’ÉVADER

Le rire permet de s’évader. Il purge le stress, relâche l’anxiété gardée en captivité, mais surtout, il a le pouvoir de nous mettre tous dans la même cellule. De nous forcer à vivre le moment présent.

Nos préjugés sont les geôliers qui nous empêchent de sortir pour aller à la rencontre de l’autre.

À la fin du match, une responsabl­e nous a dit : « Les détenues vont se coucher avec le sourire fendu jusqu’aux oreilles ce soir. » J’espère que cette nuit-là, les détenues ont dormi le coeur un peu plus libre.

Aujourd’hui et pour tous les autres jours, je voterai pour une société qui n’a pas peur de l’autre.

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