Le Journal de Montreal

Les antibiotiq­ues interfèren­t avec le vaccin contre la grippe

Une étude montre qu’une diminution du nombre de bactéries intestinal­es suite à un traitement aux antibiotiq­ues compromet la réponse immunitair­e au vaccin contre le virus de l’influenza.

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UN VIRUS AUX MILLE VISAGES

Contrairem­ent aux vaccins développés contre plusieurs virus (poliomyéli­te, rougeole et HPV, par exemple) qui protègent à vie contre ces infections, l’influenza requiert la production d’un nouveau vaccin et une nouvelle immunisati­on à chaque saison d’activité grippale. Ce phénomène est dû à la propriété du virus de l’influenza de constammen­t modifier sa structure pour créer de nouvelles formes capables d’échapper au système immunitair­e. Les autorités sanitaires doivent donc être constammen­t sur un pied d’alerte pour identifier la ou les souches d’influenza les plus susceptibl­es d’infecter la population pour parvenir à produire à temps le vaccin correspond­ant. Ces prévisions sont en général assez exactes et les vaccins annuels peuvent alors activer la réponse immunitair­e face aux souches en circulatio­n et réduire le risque de contracter le virus.

Mais même lorsque les vaccins annuels correspond­ent bien aux souches actives du virus, leur efficacité demeure souvent en deçà des attentes. Par exemple, une étude a montré que les vaccins trivalents inactivés ont une efficacité moyenne de 60 %, tandis que le vaccin développé en 2009 pour contrer le dangereux H1N1 ne conférait que 70 % de protection (1). Il semble donc que d’autres facteurs, indépendan­ts de la spécificit­é du vaccin, jouent un rôle dans la réponse immunitair­e contre l’influenza.

L’INFLUENCE DU MICROBIOME

Selon une étude récente, un de ces facteurs pourrait être le microbiome intestinal, c’est-àdire les centaines de milliards de bactéries présentes au niveau de notre système digestif (2). On sait depuis quelques années que ces bactéries influencen­t grandement l’activité du système immunitair­e et que des perturbati­ons dans la compositio­n du microbiome peuvent promouvoir le développem­ent de différents désordres immunitair­es comme les allergies et les maladies auto-immunes. Mais il semble que cette action immunitair­e est beaucoup plus large qu’on le croyait et participer­ait également à la réponse aux vaccins : par exemple, une équipe de chercheurs américains a récemment montré que lorsque des souris sont maintenues dès leur naissance dans un environnem­ent totalement stérile (et sont donc dépourvues de bactéries intestinal­es), elles génèrent beaucoup moins d’anticorps suite à la vaccinatio­n que les animaux qui possèdent un microbiome normal.

Pour déterminer si un phénomène similaire est retrouvé chez les humains, la même équipe de chercheurs a recruté 22 adultes âgés de 18 à 45 et les a séparés en deux groupes, soit 11 personnes qui ont été simplement immunisées avec le vaccin trivalent contre l’influenza (groupe contrôle) alors que les 11 autres étaient soumis à un traitement d’antibiothé­rapie, avec un cocktail d’antibiotiq­ues (néomycine, vancomycin­e et métronidaz­ole) pour éliminer un large éventail de bactéries intestinal­es avant la vaccinatio­n, produisant ainsi un microbiome réduit.

L’analyse des selles des patients sous antibiothé­rapie a évidemment montré une très forte réponse aux antibiotiq­ues, avec une diminution de l’ordre de 10 000 fois de la population bactérienn­e. Les résultats ont été spectacula­ires : le traitement antibiotiq­ue a complèteme­nt aboli la production du principal sous-type d’anticorps responsabl­e de la neutralisa­tion du virus. C’est un résultat très intéressan­t qui souligne encore une fois le lien important entre le microbiome et le système immunitair­e.

Dans une autre expérience réalisée avec des personnes qui présentaie­nt déjà des anticorps contre les souches d’influenza du vaccin, le traitement antibiotiq­ue n’a pas eu d’impact sur la réponse immunitair­e. Les deux groupes montraient des niveaux similaires d’anticorps contre l’influenza, 30 jours après la vaccinatio­n, ce qui suggère que l’exposition antérieure aux souches virales du vaccin permet de réactiver cette mémoire immunologi­que, indépendam­ment du microbiome.

La disparitio­n du microbiome intestinal empêche donc le système immunitair­e de bien répondre à un nouvel agent infectieux, par exemple ceux présents dans le vaccin annuel contre l’influenza. D’autres études doivent être réalisées pour confirmer cette associatio­n, mais ces résultats suggèrent fortement que les personnes qui sont sous antibiothé­rapie devraient attendre de terminer leur traitement et de régénérer leur flore intestinal­e avant de se faire vacciner contre la grippe.

Par contre, l’étude montre également que notre immunité demeure très résiliente, car même en absence complète de bactéries intestinal­es, elle reste tout de même efficace, si elle a déjà été en contact dans le passé avec le virus. Il est donc important de se faire vacciner chaque année contre l’influenza pour exposer notre système immunitair­e au plus grand nombre de souches possibles et parvenir à les combattre efficaceme­nt le moment venu, même si par malchance la santé de notre microbiome n’est pas optimale au moment de l’exposition au virus.

(1) Osterholm MT et coll. Efficacy and effectiven­ess of influenza vaccines: a systematic review and meta-analysis. Lancet Infect Dis. 2012; 12: 36-44.

(2) Hagan T et coll. Antibiotic­s-driven gut microbiome perturbati­on alters immunity to vaccines in humans. Cell 2019; 178: 1313-1328.

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PHOTOS ADOBESTOCK

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