50e de la manifestation contre le projet de loi 63
Encore en 1969, aucune loi québécoise ne protège l’usage du français. Partout bafouée, en particulier au travail et dans l’affichage public, notre langue voit poindre une nouvelle menace avec l’arrivée de dizaines de milliers d’allophones par année qui choisissent généralement d’envoyer leurs enfants à l’école anglaise. Toute la société québécoise se passionne alors pour l’enjeu de la langue et entend désormais faire respecter le français, de Saint-Léonard à l’Université McGill.
Alors au pouvoir à Québec, l’Union nationale de Jean-Jacques Bertrand sent bien l’urgence de légiférer sur la langue, mais n’accouche finalement que du fameux « bill 63 » qui laisse aux parents le libre-choix de la langue d’enseignement pour leurs enfants; une loi qui satisfait les anglophones et les allophones, mais qui déclenche la colère du Québec français. Pendant qu’on discute à l’Assemblée nationale du controversé projet de loi, une des plus grandes manifestations de l’histoire de la Capitale-Nationale se prépare: 30 000 personnes se réuniront le 31 octobre 1969 devant l’hôtel du Parlement.
Les jeunes sont aux premiers rangs de la mobilisation; la grève n’a pas été votée dans l’ensemble des écoles, mais ils sont tout de même des milliers d’étudiants à bord des autobus les conduisant à Québec en réponse à l’invitation du Front du Québec français, organisation créée aux seules fins de faire obstacle à la loi 63 et de faire du français notre seule langue officielle.
La liste des orateurs participants venus appuyer le mouvement est impressionnante et réunit bon nombre des fondateurs du Québec moderne : Michel Chartrand, Gaston Miron, Pierre Bourgault, l’économiste François-Albert Angers, le futur ministre Matthias Rioux, le sociologue Fernand Dumont, le géographe Henri Dorion, le théologien Louis O’Neil, Raymond Laliberté, du syndicat des enseignant CEIQ, Raymond Lemieux, de la Ligue pour l’intégration scolaire (LIS) ou encore Reggie Chartrand des Chevaliers de l’Indépendance. Pour le père Émile Bessette, « Ce soir, nous trouvons ici le fondement de la patrie québécoise et française ». Les artistes sont bien sûr aussi à ce grand rendez-vous pour la langue et la culture : Raymond Lévesque, Pauline Julien, Louise Forestier et la poétesse Michèle Lalonde qui crée même un hymne pour l’occasion : La prise de Parole.
Plus de 800 policiers de la Sûreté du Québec prêts à intervenir forment un cordon autour du Parlement. Tous les observateurs conviennent cependant de l’efficacité du service d’ordre déployé par les organisateurs eux-mêmes et qui garantit la sécurité de tous jusqu’à environ 22 heures. Même si au petit matin on doit tout de même déplorer 65 arrestations et une vingtaine de blessés, selon le journal Le Soleil, « Le sérieux de la manifestation officielle et l’ordre parfait dans lequel elle s’est déroulée a fait dire à des policiers que les étudiants représentaient vraiment, hier, sur la Colline Parlementaire, une force importante au sein de la société québécoise. » Tandis que la manifestation bat son plein, juste en face à l’Assemblée nationale, une poignée de députés indépendants affrontent ceux de l’Union nationale et du Parti libéral, bien décidés à maintenir le couvercle sur la marmite linguistique. Aux côtés de René Lévesque, fondateur du Parti Québécois, Yves Michaud, Jérôme Proulx et Antonio Flamand mènent une habile obstruction parlementaire pour faire obstacle au bill 63, qui « condamne notre langue à n’être qu’une parmi d’autres en notre propre patrie. »
La loi décriée est tout de même adoptée le 20 novembre suivant, mais ne règle rien du tout, de sorte que de nouveaux affrontements intercommunautaires allaient éclater sur cet enjeu fondamental. À vrai dire, aucune réponse viable ne sera donnée à la question linguistique avant 1977, quand le gouvernement du Parti Québécois proclame la Charte de la langue française qui, malgré maintes tentatives du gouvernement fédéral et de ses tribunaux pour la faire invalider, demeure à ce jour la gardienne de la paix linguistique au Québec.
Pour en savoir plus :
Pierre Godin, La poudrière linguistique, Montréal, Boréal, 1990. 384 p.