Éducation inc.
Dans son premier discours d’ouverture, le nouveau premier ministre François Legault annonçait une nouvelle ère d’ouverture et d’humilité. « Je veux inviter tous les ministres et tous les employés de l’État, disait-il alors, à être à l’écoute des besoins des gens et, en tout temps, à agir avec humanité. »
Des milliers d’étudiants étrangers, semble-t-il, devront toutefois s’en passer. Ils sont nombreux à se sentir trahis par l’annonce d’une réorientation majeure du Programme de l’expérience québécoise (PEQ), faite par le ministre de l’Immigration, Simon Jolin-Barrette.
Le PEQ leur offrait la possibilité d’une voie plus rapide vers l’obtention d’un Certificat de sélection du Québec et d’une résidence permanente canadienne. Formés et intégrés dans nos universités, plusieurs ont même déjà fondé une famille au Québec. Le PEQ, soit dit en passant, est un des rares legs positifs de l’ère Charest.
ANTI-INTELLECTUALISME ?
Or, le ministre Jolin-Barrette veut « arrimer » chaque candidat aux besoins immédiats du marché du travail, y compris en région. Pour ce faire, les domaines admissibles d’études seront restreints, notamment à l’intelligence artificielle, la formation professionnelle au cégep et certains programmes au bac. Le tout, imposé en plus de manière rétroactive.
Les sciences humaines, pourtant essentielles à toute société avancée et diversifiée, en sont les grandes oubliées. Serait-ce là un relent, même involontaire, du vieux fond d’anti-intellectualisme qui, pendant trop longtemps, sévissait au Québec ?
Pour plusieurs étudiants visés, c’est la catastrophe. Pour ceux et celles qui, à l’avenir, voudraient étudier au Québec, un mur s’érigera devant eux si leur champ d’étude ou de travail ne fait pas partie des nouveaux critères du PEQ. Lesquels, en plus, seront révisés chaque année.
Selon le premier ministre, « faut se concentrer sur l’économie ». M. Legault veut des « jobs payantes », c’est connu. Par le PEQ, le ministre Jolin-Barrette veut aussi valoriser les formations en « métiers » et le travail en région. Leurs intentions sont louables, c’est sûr.
APPORT INESTIMABLE
Le problème est qu’une société est bien plus encore que son « économie ». Elle est aussi sa culture, sa langue, sa démocratie, son filet social et même, eh oui, ses intellectuels. Lors du Printemps érable, les étudiants québécois dénonçaient déjà la « marchandisation » de l’éducation. Parce qu’elle est trop restrictive, la proposition du ministre Jolin-Barrette ne ferait que l’accentuer.
L’apport de ces étudiants étrangers à un Québec par ailleurs vieillissant est pourtant indéniable. Toute société avancée et humaniste exige aussi d’avoir une population et une maind’oeuvre
diversifiées, loin de s’arrêter aux seuls besoins non moins réels en fine pointe de la technologie.
Pour toutes ces raisons et d’autres encore, le Québec n’a pas le luxe de restreindre le PEQ à ce point. Il n’a pas les moyens non plus de se couper de la contribution tout aussi vitale des sciences humaines.
Sous toutes leurs formes, l’instruction et l’éducation, de la formation en soudure au doctorat en science politique, sont les véritables piliers de notre société. Du moment où l’on en sciera un pour ajouter du bois à un autre, l’ensemble de l’oeuvre s’en trouvera inévitablement déséquilibré.