Le Journal de Montreal

Un monde sans OTAN ?

- LOÏC TASSÉ Politologu­e, spécialist­e de la Chine et de l’Asie loic.tasse@quebecorme­dia.com

Il y a quelques jours, Emmanuel Macron déclarait, dans une entrevue à la revue The Economist, que l’OTAN était en état de « mort cérébrale ».

La crise de l’OTAN est en effet profonde. Elle oppose deux groupes de pays. D’un côté, des États comme la France et l’Allemagne souhaitent une évolution de l’OTAN vers une forme d’organisati­on qui serait moins américaine ou britanniqu­e, mais davantage européenne. D’un autre côté, les Américains, au contraire, ne veulent pas que l’organisati­on soit autre chose que le bras armé des États-Unis en Europe. Un bras armé de plus en plus financé par les Européens.

UNE INVASION RÉVÉLATRIC­E

L’invasion de la Turquie dans le nord de la Syrie a révélé les divisions entre les deux groupes. La France et l’Allemagne auraient souhaité que l’OTAN s’interpose entre les Turcs et les Kurdes. Les Américains prétendent que les Turcs ont le droit d’envahir le nord de la Syrie dans le cadre de la lutte au terrorisme.

En fait, les États-Unis ne veulent plus que les Européens utilisent l’OTAN pour interférer dans les affaires du Moyen-Orient et de l’Asie centrale. Les Américains disposent eux-mêmes pour cela d’un commandeme­nt militaire distinct, l’US Central Command. Les opérations passées de l’OTAN en Afghanista­n et en Irak seraient ainsi, aux yeux des Américains, des exceptions.

DES INTÉRÊTS DIVERGENTS

Il n’empêche que les intérêts géostratég­iques européens et américains sont de plus en plus divergents.

Par exemple, les pays européens cherchent à diversifie­r leurs approvisio­nnements en gaz et en pétrole, ce qui implique de compter davantage sur les ressources fossiles russes et iraniennes, ou de développer davantage les énergies vertes. Inversemen­t, les États-Unis préfèrent protéger les intérêts d’alliés comme l’Arabie saoudite. Cet arrangemen­t avec les pays arabes permet aux ÉtatsUnis de garder les prix du pétrole à l’intérieur d’une fourchette où la production de gaz et de pétrole de schiste est rentable.

De même, il est bien difficile d’affirmer sans rire que la Russie actuelle représente une menace armée grave à la sécurité européenne ou américaine, surtout en comparaiso­n avec le temps de l’Union soviétique.

À l’époque de la guerre froide, la mission de l’OTAN était claire : défendre les États-Unis et leurs principaux alliés européens contre l’Union soviétique. La menace était en premier lieu nucléaire. Elle tenait aussi aux armes classiques et à la guerre de propagande. Cet univers militaire simple à la sauce James

Bond s’est effondré avec la chute de l’URSS au début des années 90.

L’OTAN avait aussi une fonction économique et politique. Elle forçait les pays membres à s’aligner sur la technologi­e militaire américaine, et donc

injectait dans l’économie américaine un flot appréciabl­e de capitaux européens. Elle maintenait aussi les pays européens membres dans la sphère d’influence américaine et freinait leurs dépenses militaires.

DÉPENSE INUTILE

Dans sa forme actuelle, l’OTAN constitue une dépense de moins en moins utile pour l’Europe.

L’organisati­on doit-elle se recycler dans la défense contre le terrorisme, les cyberguerr­es ou la menace de la Chine ? Toutes ces réponses sont possibles, mais le gouverneme­nt américain ne veut pas que l’OTAN se redéfiniss­e. Moins les Européens seront organisés face aux nouveaux défis mondiaux, plus ils continuero­nt à dépendre des États-Unis.

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Le président français Emmanuel Macron
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