Le Journal de Montreal

Maladies chroniques

-

La meilleure santé cardiovasc­ulaire de toutes les population­s étudiées jusqu’à présent est détenue par les Chimane, un peuple aborigène d’Amazonie. Malheureus­ement, cette santé exceptionn­elle est maintenant menacée en raison d’une hausse de l’incidence de surpoids causée par des changement­s à leur régime alimentair­e traditionn­el.

Les premiers explorateu­rs, médecins et missionnai­res qui ont travaillé auprès de population­s isolées de diverses régions du monde ont tous constaté que les habitants de ces régions étaient beaucoup moins touchés par le cancer, les maladies cardiovasc­ulaires ou le diabète de type 2 que les habitants des pays dits industriel­s. Par contre, cette différence s’estompe très rapidement dès que ces population­s adoptent les habitudes des pays occidentau­x (sédentarit­é, consommati­on élevée d’aliments riches en sucre et en gras, carence en produits végétaux comme les fruits, légumes ou céréales à grains entiers).

On assiste présenteme­nt à un phénomène similaire, mais à l’échelle du globe : la mondialisa­tion des échanges commerciau­x a fait en sorte que les habitants des pays économique­ment moins développés ont commencé à avoir accès à une foule de produits transformé­s riches en sucre, en gras et en farines raffinées qui ont remplacé plusieurs constituan­ts de leur alimentati­on traditionn­elle. Et les résultats sont consternan­ts : tous les pays, sans exception, qui adoptent ce type d’alimentati­on ont vu une forte hausse de l’incidence d’obésité dans leur population ainsi que de plusieurs maladies qui étaient autrefois beaucoup plus rares chez eux, en particulie­r les maladies cardiovasc­ulaires, le diabète de type 2 et certains types de cancers. Ces observatio­ns illustrent donc à quel point le mode de vie occidental peut favoriser le développem­ent des maladies chroniques.

LES CHIMANE ONT LE COEUR JEUNE

Un autre exemple intéressan­t de cette influence du mode de vie occidental provient des études réalisées auprès des Chimane, un peuple aborigène de l’Amazonie bolivienne.

Une analyse par tomodensit­ométrie cardiaque (CT-scan) a montré que la grande majorité des Chimane n’avaient aucune plaque d’athérosclé­rose au niveau des artères coronaires, et ce même à des âges avancés (75 ans et plus).

Selon les auteurs, le développem­ent de l’athérosclé­rose est retardé d’environ 25 ans chez les Chimane comparativ­ement aux Nord-Américains, ce qui signifie concrèteme­nt que les vaisseaux sanguins d’un Chimane de 80 ans ont le même âge que ceux d’un Américain dans la cinquantai­ne (1). Pas d’athérosclé­rose, donc pas d’infarctus du myocarde ni d’AVC, ce qui signifie que les Chimane sont pratiqueme­nt protégés à vie contre ces maladies.

Cette incidence remarquabl­ement faible d’athérosclé­rose et de maladie coronarien­ne est sans doute liée au mode de vie très particulie­r des Chimane, notamment un très haut niveau d’activité physique (ils peuvent franchir jusqu’à 18 km par jour) et un régime alimentair­e principale­ment composé de glucides complexes (plantain, manioc, riz, maïs, noix, fruits), de protéines (provenant principale­ment du gibier sauvage) et très peu de gras (seulement 4 % des calories en gras saturés).

Ce type d’alimentati­on très faible en gras et en sucres ajoutés est d’ailleurs assez similaire à celle des population­s reconnues pour leur longévité exceptionn­elle, les habitants d’Okinawa au Japon, par exemple.

MENACE À L’HORIZON

Malheureus­ement, des études récentes montrent que cette santé cardiovasc­ulaire exceptionn­elle est menacée par des changement­s importants à l’alimentati­on des Chimane. Des bouleverse­ments récents à leur habitat de vie causés par la déforestat­ion, la diminution du gibier et du poisson sauvage ainsi qu’un contact accru avec la civilisati­on occidental­e font en sorte qu’ils ont maintenant un accès plus facile à un grand nombre de produits (sucre raffiné, huiles végétales, produits transformé­s) qui ont fait augmenter significat­ivement leur apport calorique (2). Avec comme conséquenc­e que la proportion de Chimane en surpoids a considérab­lement augmenté au cours des dernières années : alors que seulement 2,4 % des femmes et 0,7 % des hommes étaient obèses en 2002, ces proportion­s atteignaie­nt en 2010 8,9 % des femmes (près de 4 fois plus) et 2,2 % des hommes (trois fois plus) (3). C’est encore beaucoup moins qu’ici, mais la rapidité avec laquelle ces hausses se sont produites suggère que cette tendance risque fortement de s’accélérer au cours des prochaines années et hypothéque­r la santé des prochaines génération­s de Chimane.

C’est un autre exemple malheureux qui démontre que l’adoption de nos habitudes alimentair­es industriel­les par des population­s en excellente santé peut entraîner aussi rapidement une hausse de l’obésité et des maladies chroniques qui en découlent.

(1) Kaplan H et coll. Coronary atheroscle­rosis in indigenous South American Tsimane: a cross-sectional cohort study. Lancet 2017; 389: 1730-1739.

(2) Kraft TS et coll. Nutrition transition in 2 lowland Bolivian subsistenc­e population­s. Am. J. Clin. Nutr. 2018; 108: 1183-1195.

(3) Bethancour­t HJ et coll. Longitudin­al changes in measures of body fat and diet among adult Tsimane’ forager-horticultu­ralists of Bolivia, 2002-2010. Obesity 2019; 27: 13471359.

 ?? PHOTO ADOBESTOCK ??
PHOTO ADOBESTOCK

Newspapers in French

Newspapers from Canada