La justice au temps des Pierrafeu
En avril 2018, l’ex-ministre Stéphanie Vallée annonçait la fin des dossiers en papier pour moderniser et rendre plus efficace la justice au Québec. Mais plus de 18 mois plus tard, l’appel d’offres pour dénicher la solution technologique n’a même pas été lancé…
Les juges qui peinent à se retrouver dans de volumineux dossiers en papier, la multiplication des déplacements d’avocats qui entraînent des remises, les retards occasionnés par une administration de la justice bloquée à l’âge de pierre, tout ça risque de perdurer encore longtemps.
Sans compter les risques de libérer des détenus par erreur.
En entrevue au Journal en septembre 2017, le juge en chef associé à la Cour supérieure Robert Pidgeon, aujourd’hui à la retraite, plaidait l’urgence de la situation : « Il faut faire des choses (…). Ça n’a pas de bon sens ».
Avant de quitter la politique, l’ex-ministre de la Justice libérale Stéphanie Vallée a annoncé que 500 millions $ avaient été provisionnés sur cinq ans pour renverser la tendance et faire entrer le Québec dans le 21e siècle.
Mais voilà, jusqu’ici, un timide contrat de 5 millions $ a été octroyé à la firme Lambda pour conseiller le gouvernement dans la définition des besoins.
Au ministère de la Justice, on se limite à dire que l’appel d’offres pour trouver le fournisseur d’une plateforme pouvant mettre en commun les données des palais de justice, des centrales de police et des services correctionnels sera lancé quelque part en 2020.
Il y a un peu plus d’un mois, le ministère a fait parvenir un sondage aux membres du barreau pour leur demander de définir leurs besoins prioritaires en informatisation de la justice. Plusieurs ont roulé des yeux. Mais comment se fait-il qu’on en soit encore là seulement ?
UN LONG PROCESSUS
Nos sources au ministère expliquent que le pilote de l’opération, le sous-ministre Patrick Grenier, a eu la désagréable surprise de constater, à son arrivée aux commandes en juin
2018, que les 60 palais de justice au Québec fonctionnaient chacun d’une façon différente.
Il est également arrivé à la conclusion qu’il ne sera pas possible de trouver une solution d’affaires unique permettant de répondre à tous les besoins qui se sont accumulés. Il faudra une plateforme principale, mais avec d’autres composantes et des ramifications qui devront être compatibles. Le défi d’assemblage du casse-tête est de taille.
Puis, la pénurie de main-d’oeuvre en TI ralentit la progression de la planification.
Un centre de commandement digne de Star Trek a été installé au ministère de la Justice, et la nouvelle mouture du projet a été baptisée Lexius.
C’est 300 millions $ qui seront investis en solutions d’affaires et pour renforcer les systèmes informatiques partout dans le réseau afin qu’ils puissent supporter la plateforme.
ÉVITER LES ÉCHECS DU PASSÉ
Il faut se rappeler le cuisant échec du projet de Système intégré d’information
de justice (SIIJ) en 2012, qui devait permettre d’atteindre les mêmes et nécessaires objectifs.
Le projet a été suspendu après un gaspillage de 76 M$ et on admet aujourd’hui que bien peu d’éléments de ce fiasco ont pu être récupérés.
En 2015, c’est le projet de partage d’informations Sentinelle du ministère de la Sécurité publique qui a été abandonné après une dépense de 37,6 M$.
Espérons que le surplace actuel n’est pas le prélude à un nouvel enlisement dans un bordel informatique à coup de millions $.
Parce qu’il faut arriver à des résultats. Pour réduire les remises et les délais.
On ne peut encore tolérer qu’il faille attendre des années pour tenir un procès; que des accusés soient libérés en raison des délais déraisonnables. Depuis trop longtemps, le Québec fait vivre aux victimes d’actes odieux, de fraudes ou d’agressions, un deuxième cauchemar : celui de traverser péniblement les dédales d’un système archaïque pour espérer obtenir justice.