Le Journal de Montreal

Acheter une maison, ce n’est pas investir

- DANIEL GERMAIN

Devenir propriétai­re de son logement est-il un moyen efficace d’investir ?

C’est à cette question que m’a ramené un échange plutôt vigoureux que j’ai eu récemment avec une lectrice. Elle réagissait à un texte publié dans Le Journal au sujet du compte conjoint. Ce qui l’a fait bondir, c’est le passage où j’affirmais que les dépenses communes devaient idéalement être réparties au prorata des revenus de chacun.

LIEN AVEC L’INVESTISSE­MENT

Selon elle, ce mode de répartitio­n des dépenses mène à l’appauvriss­ement du conjoint ayant le plus bas salaire. Pourquoi ? Celui des deux ayant les revenus les plus élevés détiendra une part plus importante de la maison, donc il s’enrichira davantage.

Elle se donne en exemple. Lorsqu’elle a acquis un condo avec son conjoint, elle a insisté pour en être la propriétai­re à 50 % et en assumer les coûts, malgré des revenus nettement moins élevés que ceux de son amoureux. À ce que je comprends, une bonne partie de ses ressources financière­s y ont été mobilisées.

Elle a ramé. Il faut dire qu’elle en a aussi fait une question de principe, elle ne voulait pas être « moins » propriétai­re que son conjoint.

NOTRE RELATION AVEC L’IMMOBILIER

Son argument financier m’apparaît toutefois discutable, mais non moins intéressan­t, car il met en lumière les relations que nous entretenon­s à l’égard de l’immobilier et de l’épargne de manière générale.

Je veux dire, on a tous l’impression de faire l’investisse­ment du siècle en achetant une maison. En tout cas, elle, elle en est convaincue.

Le couple a acheté son condo à la fin des années 2000 et notre lectrice se targue maintenant d’avoir pu profiter du dynamisme du marché immobilier autant que son conjoint. Leur logement est situé dans un quartier chaud de Montréal, sa valeur a explosé de plus de 50 %. Elle a fait une bonne affaire, elle s’est enrichie (sur papier), cela est incontesta­ble. Ce que l’histoire ne dit pas, c’est qu’elle serait sans doute plus riche aujourd’hui si elle était restée minoritair­e dans la propriété du condo (tout en jouissant de son confort à 100 %).

Il lui aurait fallu par contre mettre autant d’efforts à épargner qu’à être propriétai­re à 50 % du logis. Plutôt que de mettre son argent dans le logement, il lui aurait fallu l’investir à la bourse, idéalement à l’intérieur d’un compte libre d’impôt (CELI).

L’ARGENT QUI DORT

En finances, c’est ce qu’on appelle le « coût d’opportunit­é » (ou le « coût de renoncemen­t »). Quand on met son argent quelque part, on ne peut pas l’investir ailleurs, à un endroit qui serait plus profitable.

Les rendements immobilier­s ont été spectacula­ires depuis dix ans, notamment dans la grande région de Montréal et plus encore dans les quartiers centraux. Dès qu’on en sort, cependant, c’est moins impression­nant. De manière générale, la Bourse a fait beaucoup mieux depuis que notre lectrice a acheté son condo.

On se plaint aussi des frais (gestion, transactio­ns) qui accompagne­nt la détention d’actifs financiers, mais ce n’est rien en comparaiso­n des dépenses qui viennent avec l’immobilier : les taxes foncières, les droits de mutation, les commission­s au courtier, les frais d’entretien, les coûts de réparation et l’intérêt de l’hypothèque.

Si l’immobilier était un si bon investisse­ment que ça, on aurait tous intérêt à acheter de plus grosses maisons, et les banques nous prêteraien­t sans hésiter. L’immobilier qu’on habite n’est pas un très bon investisse­ment, mais il en restera toujours quelque chose, c’est l’avantage.

En ce qui concerne notre lectrice, la question est : aurait-elle été aussi motivée à se serrer la ceinture pour investir dans des actifs aussi intangible­s que des fonds de placement et des actions ?

Probableme­nt que non. Alors dans ce cas, oui, elle a bien fait de tenir son bout.

On a tous l’impression de faire l’investisse­ment du siècle en achetant une maison

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