Le Journal de Montreal

De l’amour en cadeau

- JOSÉE LEGAULT

Depuis vingt-cinq ans déjà, Noël n’est plus tout à fait Noël. Maman n’est plus de ce monde. Elle me manque tellement. Allergique­s à la pelle et au froid, les amis partent de leur côté se dorer la couenne dans des tout-inclus à la mode sur le bord d’une plage cubaine ou mexicaine. Même le boulot prend une pause.

La musique de Noël, omniprésen­te jusque dans les rues de mon quartier, me scie les jambes de nostalgie. Chaque Minuit, chrétiens me ramène à mon enfance et aux chorales d’église où je m’époumonais de toutes mes forces à lancer au monde entier le très émouvant « Peuple debout, chante ta délivrance ».

Aujourd’hui, je m’amuse plutôt à regarder les touristes déboussolé­s. Traînant leurs bagages à bout de bras, ils cherchent tous frénétique­ment leur Airbnb. Dans les magasins, ça se rue jusqu’à la dernière minute. Acheter pour acheter, puisque Noël n’est plus tout à fait Noël depuis longtemps. Au fait, c’était quoi déjà, Noël ?

Ah oui. La naissance d’un sauveur. Toute jeune, j’avais demandé à ma mère pourquoi on avait laissé ce tout petit bébé trembloter de froid dans une étable toute grande ouverte au vent. Il ne tremblote pas, m’avait répondu ma chère maman, il est heureux parce qu’il est entouré de ses parents qui l’aiment et d’animaux bienveilla­nts qui le réchauffen­t.

ÉTABLE OU RITZ

Qu’il soit dans une étable ou au Ritz, m’avait-elle murmuré comme s’il s’agissait d’un grand secret, c’est ça, le vrai sens de Noël : l’amour et la célébratio­n de la vie. L’amour et la vie que l’on donne. Le reste, disait-elle, c’est une belle histoire dans la Bible et le magasinage, c’est pour nous la faire oublier.

Maman, comme d’habitude, avait raison. Pour me plonger dans mes souvenirs, je fais une marche dans la neige. Par moments, je ferme les yeux pour mieux sentir ma mère. Tout près de moi, elle m’accompagne sûrement du haut de son nuage duveteux que les anges lui ont attitré pour l’éternité.

Maman, que je lui demande d’un simple soupir, l’amour et la célébratio­n de la vie, on trouve ça où, de nos jours ? J’ai une soeur que j’adore, mais n’ayant pas eu d’enfant, je l’avoue, c’est pas mal moins évident. J’ose néanmoins imaginer sa réponse : ouvre tes yeux, ma chère fille, et sors de toi-même, tu trouveras. Ouvre-les, mais seulement les yeux du coeur.

Éclairée de l’intérieur par sa sagesse, je reprends ma marche. Après quelques minutes, dans la neige immaculée fraîchemen­t tombée, j’aperçois un petit point rose. Il bouge, mais de peu. Je m’approche doucement. Quel mystère.

Je me penche et de mon index, je le touche. Pouf ! Il disparaît dans la neige ! Ça, alors. Qu’est-ce que ça peut bien être ? C’est la veille de Noël, il fait froid, je me sens seule, mais je veux savoir ce que c’est. Là où le petit point rose était apparu, je tente donc de balayer la neige.

LES YEUX DU COEUR

Par magie, le petit point rose réapparaît. Cette foisci, je t’aurai ! Je m’approche encore plus. Voilà qu’émerge une toute petite tête blanche ornée d’une tache noire avec un minuscule point rose au beau milieu. Qui es-tu ? que je lui demande, bien entendu, sans attendre de réponse.

Réchauffée par le chaud de mon souffle, comme le petit Jésus par celui des animaux dans l’étable, une petite chatonne, rassurée, sort peu à peu de la neige. Elle me regarde intensémen­t avec, je le crois bien, ses yeux du coeur. Voudrais-tu que je te ramène chez moi ? Il y fait chaud et je te donnerai du thon !

Comme si elle m’avait comprise, sans le moindre effarouche­ment, elle me laisse la prendre dans mes bras. Je n’en reviens tout simplement pas. Je lève la tête vers le ciel et je dis merci à ma mère. Quel cadeau magnifique pour Noël : de l’amour et une toute jeune vie à protéger. Pas banal, l’amour. Maman, tu auras bien toujours raison !

À vous toutes et tous, je vous souhaite amour et vie. Même seul ou seule, on ne sait jamais tout à fait ce qui nous attend encore de beau.

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