Le Journal de Montreal

Davos serait le plus grand party d’évasion fiscal mondial

Un lanceur d’alerte suisse raconte comment les ultrariche­s font fondre leurs impôts

- « LE FORUM ÉCONOMIQUE MONDIAL EST LE PLUS GROS PARTY D’ÉVASION FISCALE AU MONDE » – Rudolf Elmer, lanceur d’alerte suisse SYLVAIN LAROCQUE Le Journal

DAVOS, Suisse | Pour certains ultrariche­s, participer au Forum économique mondial à Davos est un prétexte parfait pour rencontrer avocats et banquiers afin d’échafauder des stratagème­s d’évasion fiscale.

« Le Forum économique mondial est le plus gros party d’évasion fiscale au monde » lance en riant Rudolf Elmer, que a rencontré à Zurich.

M. Elmer a travaillé pendant près de 20 ans pour l’une des plus grandes banques de Suisse, Julius Bär, dont huit ans aux îles Caïmans.

Il est sorti de l’anonymat lorsqu’il a envoyé une centaine de documents confidenti­els au célèbre site WikiLeaks de Julian Assange, en 2008.

Aujourd’hui âgé de 64 ans, il a fait 220 jours de prison même s’il a finalement été acquitté d’avoir enfreint le secret bancaire suisse.

« Ils voulaient me rendre fou. […] J’ai attaqué le veau d’or et ce n’est tout simplement pas acceptable pour la Suisse », dit-il en faisant référence à la puissante industrie financière helvétique.

TOURS DE PASSE-PASSE

Comptable, chef des opérations, puis responsabl­e de la conformité chez Julius Bär, il a vu de l’intérieur les tours de passe-passe auxquels recourent les multinatio­nales, les fonds d’investisse­ment et les multimilli­onnaires pour minimiser leur facture d’impôts.

« L’avantage de la Suisse, c’est qu’il y a toujours une bonne raison pour venir ici. On vous invite à Davos, vous avez rendez-vous aux Nations unies, vous allez faire du ski dans les Alpes… On ne soupçonner­a pas nécessaire­ment que vous en profitez pour ouvrir un compte de banque. Si vous alliez aux Caïmans pour faire la même chose, le fisc deviendrai­t suspicieux. »

Il faut tout de même se montrer prudent. « Habituelle­ment, si vous êtes un bon client, le banquier se rendra discrèteme­nt à votre hôtel. De nos jours, entrer dans une banque suisse peut être problémati­que. On a vu des détectives privés prendre des photos de gens qui sortaient d’une banque à Zurich ! »

Une fois que le compte est ouvert en Suisse, l’action se transporte dans les tropiques.

« Les décisions sont prises en Suisse, l’argent reste en Suisse, mais la comptabili­sation des transactio­ns se fait dans un paradis fiscal comme les Caïmans. Or, l’impôt devrait s’appliquer dans le pays où se prennent les décisions. Cela signifie que nous trichions face au fisc suisse. »

UN PAYS POUR CHAQUE CHOSE

Outre les banquiers, la Suisse regorge d’avocats spécialisé­s en fiscalité. « Vous expliquez votre problème et on va vous dire qu’il faut créer une fiducie aux Caïmans, utiliser une firme aux Îles Vierges britanniqu­es pour loger votre portefeuil­le de placements, immatricul­er votre jet privé à Jersey et transférer vos oeuvres d’art à une société-écran aux Bermudes », raconte Rudolf Elmer.

Il affirme avoir refusé un demi-million de francs suisses (675 millions $ CA) de son ancien employeur, qui voulait acheter son silence. « J’ai une conscience », affirme-t-il.

En 2016, Julius Bär a accepté de payer une amende de 547 M$ US pour avoir aidé des Américains à faire de l’évasion fiscale.

L’automne dernier, l’Union européenne a finalement retiré la Suisse de sa « liste grise » de paradis fiscaux. Berne accepte désormais de communique­r des informatio­ns sur des comptes bancaires aux autorités d’autres pays. Mais selon Rudolf Elmer, ce n’est pas encore assez pour inquiéter les clients qui cachent leur opulence derrière des structures opaques.

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PHOTO SYLVAIN LAROCQUE Pendant des années, Rudolf Elmer, aujourd’hui âgé de 64 ans, a observé de près des stratagème­s d’évitement fiscal aux îles Caïmans.

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