Le Journal de Montreal

Les voisins : la mayonnaise « pogne » encore !

- SOPHIE DUROCHER sophie.durocher@quebecorme­dia.com

Samedi après-midi, j’ai vu Les voisins, cette brillante pièce de Louis Saïa et Claude Meunier, écrite il y a 40 ans.

Toute la salle de la Place-des-Arts riait à gorge déployée. La dame en face de moi a failli s’étouffer à plusieurs reprises tellement elle se bidonnait.

Est-ce que les 1450 spectateur­s de la salle Maisonneuv­e étaient des grossophob­es ? Non, mais on a ri de blagues sur les personnes en surpoids. Est-ce que toutes ces personnes étaient misogynes ? Non, pourtant on riait fort quand une femme se faisait traiter de dinde.

Bref, pendant deux heures et demie, j’ai vu une foule de spectateur­s capable de comprendre le deuxième degré d’une blague. Si seulement les Offensés permanents étaient capables d’en faire autant.

TA MÈRE, C’EST UNE FEMME

Quarante ans plus tard, la pièce n’a rien perdu de sa pertinence. Comme le décrivait un texte paru pour les 20 ans de la pièce, « dans Les voisins, chacun sera passé à côté des autres sans les voir ».

J’avais beau rire comme une folle pendant la pièce, je ne pouvais m’empêcher de ressentir une certaine angoisse. Sommes-nous à ce point indifféren­ts les uns aux autres ? Sommes-nous si handicapés de la communicat­ion ?

Prenez le personnage de Laurette, qui déprime de sa routine de femme au foyer. Elle me faisait penser à tant de femmes de ces années-là qui souffraien­t du « problème qui n’a pas de nom » comme l’avait écrit Betty Friedan dans The Feminine Mystique.

Dans son essai, cette féministe américaine écrivait : « Nous ne pouvons plus ignorer cette voix qui, en chaque femme, dit : “Je veux quelque chose de plus que mon mari et mes enfants et ma maison.” »

Quand Laurette s’exclame : « J’suis tannée de toujours faire la même chose, de juste faire à manger pis de laver la vaisselle », son mari lui répond : « Ben fais autre chose, t’as une balayeuse neuve, sers-toi-z’en. ».

Bien sûr, quarante ans plus tard, les femmes québécoise­s ne sont plus du tout dans la même situation que Laurette. Mais sont-elles plus heureuses ? Quand on voit la quantité d’antidépres­seurs qui sont prescrits, on est en droit de se le demander.

Mais la grande force de la pièce de Saïa-meunier, c’est de parler du « vide » autant des hommes que des femmes, des jeunes que des vieux.

Les voisins a été écrite il y a 40 ans. Mais si aujourd’hui une jeune autrice non binaire trans fluide décidait d’écrire une pièce semblable, ça ressembler­ait à quoi ?

À une soirée où tout le monde a le cou penché sur son cellulaire et personne ne se parle. Au lieu de montrer des diapositiv­es de son voyage en Europe en servant des sandwichs pas de croûtes, le couple Bernard-Jeannine aurait mis toutes ses photos sur Facebook, que leurs amis auraient « likées » virtuellem­ent.

En 1980, l’absence de vraies conversati­ons passait par des phrases vides, des dialogues insignifia­nts et des longs silences malaisants.

En 2020, l’absence de conversati­on passe par … l’absence réelle de conversati­ons. Avant on se parlait sans rien dire. Aujourd’hui, on ne se parle carrément plus.

Ça goûte donc bon 2020. On peut pas dire à quoi ça goûte. Une époque vide. Pleine de beaux malaises.

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