Les dossiers de corruption sont « extrêmement difficiles »
Une procureure de la Couronne bientôt à la retraite a des conseils pour ses successeurs
« L’IMPORTANT, C’EST DE MAÎTRISER LE DOSSIER, MAIS AUSSI DE SAVOIR VULGARISER LA CAUSE. QUAND UN ENQUÊTEUR ME PARLE D’UN DOSSIER, SI APRÈS DIX MINUTES JE SUIS INCAPABLE DE COMPRENDRE,
IL Y A UN PROBLÈME. »
– Céline Bilodeau, procureure
Au moment de prendre sa retraite, l’une des meilleures procureures aux fraudes et à la corruption prévient ceux qui la remplaceront qu’ils ne l’auront pas facile, avec des dossiers « extrêmement difficiles ».
« Il y a une grande attente de la population, mais il ne faut pas oublier que même si tous ont la volonté de les faire aboutir, c’est extrêmement difficile. Les dossiers sont volumineux », explique au Journal la procureure de la Couronne Céline Bilodeau, sans nommer aucun dossier spécifique.
Ces propos trouveront assurément écho auprès de ses collègues, alors que le résultat d’importantes enquêtes, telles que Mâchurer sur des allégations de financement illégal du Parti libéral du Québec, se fait toujours attendre, et que des dossiers de l’Unité permanente anticorruption se sont terminés en queue de poisson.
On n’a qu’à penser aux acquittements dans le scandale du Faubourg Contrecoeur ou encore l’arrêt des procédures de l’ancien numéro 2 de la Ville de Montréal Frank Zampino, pour l’octroi allégué de contrats municipaux en échange de financement politique.
En 33 ans de services, Me Bilodeau a plongé dans de nombreux dossiers d’envergure, tels que la mise en accusation pour corruption de l’ex-maire de Laval Gilles Vaillancourt et la condamnation du fondateur du studio d’animation Cinar, Ronald Weinberg, pour une fraude de 120 millions $.
RIEN AU HASARD
Rapports de comptabilité, gestion de témoins émotifs, connaissance parfaite des règles et des lois. Dans ce genre d’enquête, rien ne doit être laissé au hasard, d’autant plus que les fraudeurs et les corrompus agissent en se cachant et en dissimulant la preuve, explique-t-elle.
« Les gens qui parlent ne disent pas tout, affirme Me Bilodeau. Des opérations ne fonctionnent pas tout le temps. Ce n’est pas évident, et parfois des enquêtes doivent avorter ; un procureur doit être capable de refuser d’autoriser les accusations. »
Avocate depuis 1987, Me Bilodeau a d’abord travaillé au civil avant de faire le saut dans les causes criminelles, pour ensuite se spécialiser dans les dossiers de fraude et de corruption. Elle s’est forgée une solide réputation pour sa capacité à mener des dossiers de A à Z.
« C’est ce qu’on appelle une poursuite verticale, où on prend le dossier dès le début de l’enquête, et on travaille avec les enquêteurs, les juricomptables… Ça permet de maîtriser le dossier, de porter des accusations plus rapidement, explique-t-elle. Quand c’est possible, c’est une bonne chose à faire. »
PRIX D’EXCELLENCE
C’est d’ailleurs ainsi que la procureure a mené le dossier Cinar dès 2003, qui lui a même valu, avec son collègue Matthew Ferguson, un prix d’excellence du Service des poursuites pénales du Canada, en 2017.
« Le plus difficile était de ne jamais voir la fin, mais chaque fois, je pensais à [l’auteur] Claude Robinson, qui était tout seul [dans son combat pour le vol de sa propriété intellectuelle] », dit-elle.
Après des décennies à traquer les fraudeurs, Me Bilodeau prend sa retraite. Pour voyager, faire du bénévolat, mais aussi pour lire des livres et des journaux et profiter de la vie.
« Je suis une folle des musées, de théâtre, de musique. Montréal est une ville extraordinaire pour ça. Mais je vais continuer à écouter des audiences de la Cour suprême en cuisinant et lire de la jurisprudence, par plaisir », conclut-elle en riant.