Le silence des agneaux
L’an dernier, 118 femmes et filles ont été assassinées au Canada. Selon l’Observatoire canadien du fémicide, les hommes comptaient pour 87 % des accusés. La plupart étaient conjoints ou ex-conjoints de leurs victimes. Au Québec, le plus récent est le meurtre horriblement violent, à Sainte-Foy, de Marylène Lévesque, âgée d’à peine 22 ans.
L’accusé est Eustachio Gallese. Coupable d’avoir tué sa conjointe en 2004 à coups de couteau et de marteau, il était en semi-liberté. Malgré le caractère exceptionnellement brutal de ce meurtre, son « équipe de gestion » à la Commission des libérations conditionnelles du Canada (CLCC) lui avait accordé ce statut.
On lui a aussi permis de poser des gestes illégaux en s’« achetant » les services de prostituées pour satisfaire ses besoins sexuels. Marylène Lévesque l’aurait d’ailleurs compté parmi ses clients « réguliers ». En réaction, le ministre fédéral de la Sécurité publique, Bill Blair, annonce qu’il y aura enquête.
VISION DÉSHUMANISANTE
En même temps, les conservateurs et d’ex-commissaires de la CLCC pointent le gouvernement Trudeau pour avoir modifié en 2017 le processus de nomination des membres de la CLCC, dont le résultat aurait été d’exclure plusieurs commissaires d’expérience.
En attendant la suite, la réalité saute pourtant cruellement aux yeux. Cette décision de la CLCC était abjecte. En cela, elle allait bien au-delà de l’incompétence ou d’un manque possible de jugement ou d’expérience. Son effet prévisible dans le cas de Gallese était de mettre en danger la vie des femmes dont il se paierait les services. Ce qui devait arriver est donc arrivé.
On ne s’en sort pas, cette décision trahit une vision profondément déshumanisante des femmes qui travaillent dans la prostitution. Elle les rabaisse au rang de vulgaires objets et élève les hommes qui se les paient, y compris un meurtrier, à celui de « consommateur » cherchant à satisfaire un « besoin » parmi d’autres.
SORDIDE
En lui donnant accès à des travailleuses du sexe malgré son « profil » de violence extrême et meurtrière, la CLCC a traité celles-ci comme on traite des agneaux qu’on laisse seuls avec un renard affamé. Marylène Lévesque en fut l’ultime agneau sacrificiel.
Quoi qu’en dise le rapport de l’enquête, dans une société avancée comme le Canada, c’est bien là, et de très loin, l’aspect le plus sordide de cette histoire. La CLCC a laissé des femmes en pâture à un homme qui avait déjà tué sa conjointe comme on fait boucherie.
Disons-le clairement. Tous ces meurtres de femmes qui s’enchaînent sont révoltants et à vomir. Quelles que soient les avancées sociales des femmes, il reste encore de ces hommes violents et contrôlants qui, quelque part, attendent leur heure de vengeance contre celles osant les quitter ou dont ils se paient les services sexuels.
Ce que toutes ces femmes ont en commun est d’avoir été considérées par leurs tueurs comme des sous-humaines. Que la Commission des libérations conditionnelles du Canada ait versé dans la même infamie face à des travailleuses du sexe nous glace le sang.