Kobe Bryant : deux poids, deux mesures ?
Dimanche soir, aux Grammys, tout le monde a rendu hommage, les larmes aux yeux, à Kobe Bryant, mort dans l’écrasement de son hélicoptère. C’est en effet d’une grande tristesse que cet athlète exceptionnel soit mort aussi tragiquement, en compagnie de sa fille de 13 ans.
Cependant, je pensais qu’en cette époque de #metoo, la communauté artistique aurait quand même eu une pensée pour le côté moins reluisant de la vie de Bryant, soit l’accusation de viol à laquelle il a fait face en 2003.
Vous pensez que je n’ai pas d’affaire à reparler de ça ? Mais iriez-vous jusqu’à dire que je devrais être suspendue comme chroniqueuse ? C’est pourtant ce qui vient d’arriver à une journaliste américaine.
UNE AFFAIRE TROUBLANTE
Quand une personnalité meurt, est-ce que les journalistes ont seulement le droit de dire des choses positives à son sujet ?
Est-ce qu’on doit se censurer et uniquement lancer des fleurs aux défunts sans jamais rappeler quoi que ce soit de négatif ?
C’est la question qui se pose depuis que l’histoire de Felicia Sonmez a éclaté aux États-Unis.
Dimanche, quelques heures après l’annonce du décès de Kobe Bryant, Sonmez – qui est journaliste politique au Washington Post – a tweeté un lien vers un article du Daily Beast rappelant ce qui s’est passé en 2003. Une jeune femme de 19 ans avait affirmé que Bryant l’avait violée. Bryant a reconnu qu’il avait couché avec elle, mais que c’était consensuel.
Une semaine avant le procès au criminel, la plaignante a refusé de témoigner. Elle a poursuivi Bryant au civil et obtenu plus de deux millions de dollars. Le texte du Daily Beast, basé sur des documents judiciaires et des rapports de police, affirmait que : des traces de sang de la plaignante ont été retrouvées sur les vêtements de Bryant ; des traces de violence ont été observées autour du cou de la plaignante (qui affirmait que Bryant avait essayé de l’étrangler) ; des lacérations ont été observées sur son vagin. Des détails troublants de l’interrogatoire de Bryant par la police ont été révélés.
Sonmez a simplement tweeté un lien vers cet article qui date de quatre ans… et elle a été suspendue de son poste, supposément parce qu’elle avait commenté un sujet qui n’était pas dans son domaine. Devant la violence des réactions sur Twitter, elle a dû quitter son domicile.
Depuis, des centaines de collègues ont dénoncé la suspension de Sonmez. Et le critique média du Washington Post a écrit : « Si tous les journalistes du Post sont susceptibles d’être suspendus quand ils tweetent sur des sujets qui ne sont pas de leur domaine, toute la salle de nouvelles va y passer ».
Mais c’est la déclaration suivante de Mme Sonmez qui doit, selon moi, nous faire réfléchir : « Toute personnalité publique mérite qu’on se souvienne d’elle dans sa totalité, même si cette personnalité publique est adorée, et même si cette totalité est dérangeante. »
LES FLEURS ET LE POT
La prochaine fois qu’une personnalité publique mourra au Québec, on devrait se rappeler cette phrase.
Oui, il faut rendre hommage en lançant des fleurs pour les côtés positifs.
Mais notre rôle comme média est aussi de rappeler que même la plus belle des roses a des épines.