Le Journal de Montreal

« Big Brother » aux portes du Canada ?

Londres se dote d’un système de reconnaiss­ance faciale, ce qui attise les inquiétude­s ici

- ARNAUD KOENIG-SOUTIÈRE 1984 New York Times

QUÉBEC | Le système de reconnaiss­ance faciale en direct qu’utilisera la police de Londres pourrait avoir des effets « très inquiétant­s » au Canada, notamment quant à la façon d’encadrer cette technologi­e intrusive digne de « Big Brother ».

La semaine dernière, la Police métropolit­aine de Londres a annoncé qu’elle allait commencer à avoir recours à cette technologi­e pour identifier rapidement les auteurs potentiels de « crimes les plus sérieux », dont les actes violents.

Ce réseau fermé de caméras situées partout dans la ville ne sera pas relié aux autres caméras de surveillan­ce ou aux radars photo, et le recours au système devra être « défini quant à la date, l’heure, l’endroit et la durée du déploiemen­t », indique le corps policier.

« Vous pouvez avoir confiance en cette technologi­e et en notre façon de l’utiliser », assure sur ses réseaux sociaux le service policier.

Une boîte de Pandore pourrait être ouverte par l’utilisatio­n d’un tel système de surveillan­ce : les faits et gestes du grand public seraient alors, du moins en théorie, susceptibl­es d’être surveillés en permanence.

Si la police de Londres insiste sur le fait que toute donnée non pertinente à la traque d’un criminel sera supprimée sur-le-champ, cette technologi­e est néanmoins constammen­t assimilée à « Big Brother », figure omnipotent­e du roman dystopique de George Orwell.

« TRÈS INQUIÉTANT »

« Je trouve ça très inquiétant. C’est une atteinte massive à la vie privée. Les gens ne se rendent peut-être pas compte de tout ça », estime l’avocate criminalis­te Marie-Hélène Giroux.

« Ce ne sont pas juste les criminels qui doivent se soucier de leur vie privée. Tout le monde doit se soucier de sa vie privée ! Ça peut aller loin. [À terme], il n’y a pas juste la police qui peut utiliser ces logiciels-là », prévient-elle.

Bien que cette mesure ait reçu un appui significat­if de la population par l’entremise de sondages d’opinion au RoyaumeUni, la façon dont les tribunaux britanniqu­es décideront d’encadrer l’usage des systèmes de reconnaiss­ance faciale en direct pourrait faire des vagues jusqu’ici.

« Il risque d’y avoir des répercussi­ons. Nous avons deux systèmes juridiques assez similaires. Si ça passe les tribunaux anglais, ça risque de passer les tribunaux ici. Les législatio­ns sont différente­s, mais ce pourrait être des précédents inspirants, si on veut », estime Me Giroux.

En plus des questions liées à l’éthique, la constance du système soulève des interrogat­ions. « La marge d’erreur est beaucoup trop élevée » quand le système est utilisé seul, sans l’assistance d’autres logiciels, affirme Daniel Thérien, expert en biométrie faciale.

Le corps policier londonien insiste sur le fait qu’un individu ne sera « pas nécessaire­ment » appréhendé directemen­t par un agent si le système le reconnaît. Un agent sera préalablem­ent appelé à « prendre une décision » sur l’exactitude de l’associatio­n.

ERREUR

C’est sans compter que les personnes à la peau noire, par exemple, sont plus à risque d’être l’objet d’une erreur.

« Plus la peau est foncée, plus c’est difficile pour le logiciel de faire la différence entre l’ombrage et la couleur de la peau », explique M. Thérien.

Si un tel système n’est pas implanté au Québec, la technologi­e, déjà développée, frappe aux portes de nos corps policiers, affirme Me Giroux.

En avril dernier, la Sûreté du Québec a publié un « avis d’intérêt » pour se munir d’un logiciel de reconnaiss­ance faciale.

Le document mentionnai­t que l’applicatio­n devait pouvoir intégrer des photos provenant d’une autre banque de données. La SQ n’était pas en mesure d’indiquer où en étaient rendues ces démarches, hier.

DÉBAT

Le recours à pareille banque de données externe s’apparenter­ait au cas de l’entreprise Clearview IA et de son applicatio­n Smartcheck­r. En janvier, une enquête du

a dévoilé que celle-ci rendait disponible aux forces de l’ordre une banque de trois milliards de portraits tirés du web – des photos, des vidéos, des profils –, en comparaiso­n aux 411 millions de portraits de la banque du FBI.

En plus d’établir une correspond­ance, le logiciel de Clearview peut aussi fournir des informatio­ns personnell­es sur l’individu, comme son nom, son adresse et son numéro de téléphone.

« Le débat devrait se faire sur ce qu’on veut dans la société. Est-ce qu’on veut l’omniprésen­ce de “Big Brother” ? La réflexion doit se faire. Il faut que ce soit balisé rigoureuse­ment », juge Me Giroux.

La reconnaiss­ance faciale ne vise pas qu’à traquer des criminels. Des centres commerciau­x l’utilisent déjà pour tenter de mieux cerner leur clientèle. Un projet pilote sera notamment mené à Place Sainte-Foy dans les prochains mois pour analyser anonymemen­t le visage et le comporteme­nt des consommate­urs.

 ?? PHOTOS DIDIER DEBUSSCHÈR­E ET D’ARCHIVES, AFP ?? Ci-dessus, des caméras publiques comme celle-ci, à Québec, pourraient bien permettre de ficher et traquer des criminels, si la voie tracée par Londres est suivie. Sur la photo principale, des caméras placées sur le pont Westminste­r, à Londres, en juillet.
PHOTOS DIDIER DEBUSSCHÈR­E ET D’ARCHIVES, AFP Ci-dessus, des caméras publiques comme celle-ci, à Québec, pourraient bien permettre de ficher et traquer des criminels, si la voie tracée par Londres est suivie. Sur la photo principale, des caméras placées sur le pont Westminste­r, à Londres, en juillet.
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