Le Journal de Montreal

Refusées malgré le risque d’excision

Des mères voulant protéger leur fille de mutilation­s génitales dans leur pays voient leur demande d’asile rejetée

- DOMINIQUE SCALI

De nombreuses femmes espèrent rester au Canada pour éviter que leurs filles ne soient excisées dans leur pays d’origine, mais la majorité voit ses demandes d’asile refusées et les avis d’experts médicaux ignorés, dénoncent des chercheuse­s.

« Quand ma demande a été refusée, je ne pouvais pas regarder mes filles en face. Je n’étais pas capable de les protéger de ce que j’avais moi-même vécu », raconte Selina (nom fictif) avant de prendre une pause pour essuyer ses larmes.

Elle fait partie des femmes qui ont subi des mutilation­s sexuelles pendant leur enfance au Nigeria et qui ont pris la parole de façon anonyme lors d’un colloque à Montréal la semaine dernière.

Les médecins, infirmière­s et travailleu­rs sociaux du Québec sont de plus en plus souvent confrontés à la réalité de patientes à qui on a retiré le clitoris ou suturé les lèvres de la vulve quand elles étaient fillettes. Des interventi­ons traumatisa­ntes en plus d’être dangereuse­s.

Parmi ces femmes se trouvent des mères qui refusent que leur fille subisse le même sort et qui demandent donc l’asile au Canada. En plus de les aider à vivre avec les séquelles, les médecins peuvent, par exemple, attester que les mères ont été excisées.

« VOUS N’AVEZ PAS D’IMPACT »

Des travailleu­rs sociaux ou des psychothér­apeutes peuvent aussi fournir une analyse montrant qu’elles souffrent encore de traumatism­es liés à cette interventi­on.

Or, les juges et commissair­es qui examinent ces documents y accordent très peu d’importance, constate Rachel Chagnon, professeur­e à l’UQAM et directrice de l’Institut de recherche et d’études féministes.

« Vous n’avez pas d’impact », a lâché la chercheuse devant un parterre de profession­nels de la santé et du milieu communauta­ire, qui n’ont pas caché leur déception.

Son équipe a comptabili­sé 318 décisions rendues publiques depuis 1982 par la Commission de l’immigratio­n et du statut de réfugié, des instances d’appel et de la cour fédérale.

Résultat : près de 70 % des demandes trouvées par les chercheuse­s ont été refusées, qu’elles soient accompagné­es ou non de documents médicaux.

MANQUE DE FORMATION

Le cas d’une femme ayant fui avec sa fille est « emblématiq­ue », illustre Mme Chagnon. En 2013, la Commission avait en quelque sorte conclu qu’elle n’était pas « une bonne mère », car elle avait choisi de retourner au Cameroun après avoir vécu en Europe (voir autre texte).

Mme Chagnon suggère que les juges et commissair­es soient formés sur la question des mutilation­s génitales, en plus des profession­nels de la santé, qui sont parfois déstabilis­és par cette réalité.

On ignore combien de femmes sont concernées au Québec, Statistiqu­e Canada n’ayant pas de données sur le sujet. Mais avec le nombre de demandes d’asile qui augmente, on a tout lieu de croire qu’elles sont plus nombreuses qu’avant, suppose Rachel Chagnon.

 ?? PHOTO DOMINIQUE SCALI ?? La Sherbrooko­ise Zainabou Ouedraogo est bien placée pour recueillir les confidence­s de femmes ayant subi des mutilation­s génitales, apprenant elle-même à vivre avec les séquelles de l’excision, tant physiques que psychologi­ques.
PHOTO DOMINIQUE SCALI La Sherbrooko­ise Zainabou Ouedraogo est bien placée pour recueillir les confidence­s de femmes ayant subi des mutilation­s génitales, apprenant elle-même à vivre avec les séquelles de l’excision, tant physiques que psychologi­ques.

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