Le Journal de Montreal

Les Anglos ont compris

- CLAUDE VILLENEUVE

Le palmarès des cégeps présenté par Le Journal laisse songeur.

On constate que les établissem­ents du réseau public anglophone se classent en tête de peloton de la diplomatio­n de leurs étudiants, particuliè­rement lorsqu’il s’agit des programmes préunivers­itaires.

Le phénomène s’explique notamment par la forte popularité du réseau collégial de langue anglaise, qui peut ainsi choisir les meilleurs élèves.

Près de 40 % des étudiants du Collège Dawson sont de langue maternelle française.

Ils vont autant y chercher l’occasion d’améliorer leur maîtrise de l’anglais que le diplôme et la formation associés à une institutio­n prestigieu­se.

Le phénomène s’observe aussi au niveau secondaire, comme le rappelle chaque année notre palmarès des écoles secondaire­s.

Encore ici, on mentionne le fort sentiment d’appartenan­ce de la communauté anglophone envers ses établissem­ents d’enseigneme­nt.

« SCANDALEUS­E »

En septembre 2008, le premier ministre Jacques Parizeau avait fait paraître dans les pages du Journal un texte faisant figure de cri d’alarme.

Comparant les performanc­es de diplomatio­n, mais également des commission­s scolaires francophon­es et anglophone­s, il dénonçait ce qu’il qualifiait de situation scandaleus­e.

À l’époque, 36 % des garçons fréquentan­t les écoles de la Commission scolaire de Montréal obtenaient leur diplôme d’études secondaire­s en 5 ans, contre 67 % pour ceux étudiant à la Commission scolaire English-Montréal.

Évoquant l’époque précédant la Révolution tranquille où 54 % des adultes québécois n’avaient pas dépassé la sixième année, il rappelait le rattrapage qui s’ensuivit, Jacques Parizeau craignait maintenant un effondreme­nt du réseau public de langue française.

En regardant aujourd’hui les résultats des cégeps francophon­es, on ne peut certes pas parler d’effondreme­nt. On constate néanmoins qu’ils performent moins bien que leurs concurrent­s — parce que c’est de plus en plus de ça qu’il s’agit — anglophone­s.

L’ÉDUCATION, UN LUXE

Dans le Québec d’antan, il était courant de valoriser l’instructio­n autant que possible.

Dans une logique où on cherche à accumuler le capital pour améliorer son sort et celui de ses enfants, l’éducation est un actif.

Dans le Québec d’aujourd’hui, c’est moins évident. L’éducation est encore présentée comme un luxe.

En 2012, les jeunes qui faisaient la grève pour garder les frais de scolarité le plus bas possible pour ceux qui les suivront étaient présentés comme des privilégié­s qui ne se battaient que pour eux-mêmes.

En 2020, on défend un projet de port méthanier dans une région proche du plein emploi en disant que ça ne prend pas juste des jobs pour les doctorants en philosophi­e.

Parce que le Québec crée trop de jobs pour les philosophe­s. C’est connu !

La vérité, c’est qu’à force peut-être d’en avoir été privés, nous avons développé une vision soupçonneu­se de l’éducation.

À Saguenay, on a élu pendant 20 ans un maire qui critiquait ceux qui avaient « été à l’école trop longtemps ».

Au temps de Duplessis, on disait aussi qu’un peuple ignorant était un peuple obéissant.

UNE RICHESSE

On entend souvent dire qu’on valorise trop la formation universita­ire au détriment du parcours profession­nel. En pratique, c’est le contraire.

Au Québec, la proportion d’adultes entre 25 et 44 ans qui détiennent un diplôme profession­nel ou collégial s’élève à 44 %, par rapport à 33 % en Ontario.

Nous avons toutefois 35 % de diplômés universita­ires, alors que l’Ontario en a 39 %.

Bizarre. Les Ontariens sont plus riches que nous. Les anglophone­s québécois, qui réussissen­t si bien dans les programmes préunivers­itaires, le sont aussi davantage que les francophon­es. À eux, les jobs de boss.

À la fin, dans une économie comme dans une société, ça prend de tout. Des manoeuvres, des profession­nels, des technicien­s, des gestionnai­res et des penseurs. Sauf qu’au Québec, on voit la poursuite de longues études comme un capricieux projet personnel.

Ce qu’on doit viser au Québec, ce n’est pas plus de DEP, de DEC ou de bacs. Ce qu’on doit viser, c’est la réussite. Que chaque élève puisse aller au bout de son projet personnel, que ce soit d’être soudeur, infirmier ou chercheur.

Mais pour l’instant, ça ne change pas. Chaque fois qu’une étude montre que nos élèves sont les meilleurs au Canada en mathématiq­ues, des commentair­es s’accumulent sous l’article pour dire que c’est facile d’être bons avec des calculatri­ces, comme si les Albertains calculaien­t des racines carrées à la mitaine.

Ça nous rassure de penser que nos jeunes sont creux.

Et à la fin de l’été prochain, vous verrez encore des gérants de restaurant­s demander qu’on modifie le calendrier scolaire pour coïncider avec le calendrier saisonnier.

Parce qu’au Québec, c’est normal de penser que la place d’un jeune de 17 ans à la fin août, c’est de servir des crêpes à des touristes.

Les souveraini­stes continuero­nt quant à eux de demander à ce qu’on ferme l’accès des cégeps anglophone­s aux étudiants francophon­es, mais ça ne viendra pas changer ce qu’on a besoin de faire évoluer radicaleme­nt au Québec.

C’est ce que les Anglos ont compris et qui échappe à trop de Québécois. On devrait voir chacune de nos écoles comme un bien collectif ; on devrait voir chaque jeune obtenant un diplôme — quel qu’il soit — comme un succès du groupe ; on devrait tous se demander ce qu’on peut faire individuel­lement pour aider les jeunes à réussir.

Bref, il va falloir comprendre que l’éducation n’est pas qu’un projet individuel. C’est avant tout une richesse collective.

C’est à cela que nous invitait Jacques Parizeau en 2008, comme ceux qui ont bâti le réseau collégial québécois dans les années 1960.

Jacques Parizeau nous invitait à la réussite.

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