Le Journal de Montreal

Payer des intérêts sur les intérêts d’une carte de crédit

- DANIEL daniel.germain@quebecorme­dia.com

GERMAIN

Ça n’a pas fait trop de bruit, mais la Banque TD vient d’introduire une grande « innovation » dans l’industrie des cartes de crédit, une nouveauté qui lui permettra de siphonner davantage les clients à la situation financière précaire.

À compter du mois de mars, elle facturera des intérêts dits « composés » à tous ses détenteurs de cartes de crédit qui ne règlent pas leur solde en entier à la fin du mois. Qu’est-ce que ça change ? Pour les gens concernés, beaucoup !

Cela veut dire que la TD ne se contentera pas de calculer les intérêts sur les achats ou les avances de fonds, mais aussi sur les intérêts qui se sont accumulés au cours des mois précédents. L’astuce est permise, mais aucune institutio­n n’avait encore osé s’aventurer à fond dans cette direction.

DES INTÉRÊTS SUR LES INTÉRÊTS

Oui, la banque facturera des intérêts sur les intérêts. Au taux de 20,99 %, la « magie des intérêts composés » risque de faire saigner les finances de ceux qui traînent des soldes impayés !

Pourtant, les activités de cartes de crédit semblent déjà fort lucratives. Je n’ai pas non plus entendu que la Banque TD connaissai­t des difficulté­s particuliè­res.

Pourquoi alors s’acharner sur les clients les plus vulnérable­s ? Au Canada, près du tiers des détenteurs de cartes de crédit n’arrivent pas à payer leur solde au complet chaque mois.

LA TRAPPE DE LA RÉCOMPENSE

Certes, pour la plupart, ils se sont mis eux-mêmes dans cette situation. N’en reste pas moins qu’on leur tend un piège. Les institutio­ns financière­s n’hésitent pas à offrir aux consommate­urs des capacités de crédit qui surpassent leurs moyens. Ces efforts sont renforcés par d’ingénieux systèmes de récompense­s qui tantôt permettent d’acheter un grille-pain, tantôt de payer un billet d’avion, tantôt de recevoir de l’argent.

Depuis une dizaine d’années, la concurrenc­e sur le marché des cartes de crédit ne cesse de s’intensifie­r. Pour se démarquer, les institutio­ns financière­s greffent à leurs cartes des programmes de récompense­s de plus en plus généreux.

Seulement, les points qui permettent de faire des achats ou encore les remises en argent ne sont pas une fabricatio­n du Saint-Esprit. Quelqu’un les paie.

UN SYSTÈME QUI COÛTE CHER À TOUS

Le gros du système est financé grâce aux frais infligés aux marchands qui utilisent le système de paiement, ce qu’on appelle souvent les « frais d’interchang­e ». Ils sont appliqués sur les transactio­ns réalisées par carte de crédit. Le consommate­ur ne les voit pas.

Ces frais sont plus élevés sur les cartes de crédit qui offrent des avantages. Ils sont ensuite refilés à l’ensemble des consommate­urs à travers des hausses de prix qui touchent autant les utilisateu­rs de ces cartes que ceux qui paient comptant ou par carte de débit. En d’autres mots, les uns financent les « goodies » des autres.

DES FRAIS QUI FONT RÂLER

Les commerçant­s se plaignent depuis des années de ces frais. Ils ont été entendus par le gouverneme­nt fédéral, qui a établi un plafond qui entre en vigueur sous peu, si ce n’est déjà le cas.

Les frais moyens d’interchang­e ne doivent pas dépasser 1,4 % du montant des transactio­ns. On se demande comment les institutio­ns financière­s peuvent le contrôler ; plus encore, comment les autorités réglementa­ires peuvent le vérifier.

« Une nouveauté qui permettra de siphonner davantage les clients à la situation financière précaire. »

DRÔLE DE COÏNCIDENC­E…

La décision de la Banque TD de facturer plus d’intérêt coïncide avec l’entrée en vigueur du plafond, mais ce n’est peut-être pas qu’un hasard.

Chose certaine, cette manoeuvre servira à maintenir la profitabil­ité des activités de cartes de crédit qui, pour les institutio­ns financière­s, coûtent plus cher à mener en raison de tous les programmes de récompense­s et de fidélité.

La question qui tue maintenant : est-ce que les autres institutio­ns financière­s emboîteron­t le pas ? Il ne faudrait pas s’en étonner.

Si cela se produit, attendez-vous à voir les associatio­ns de protection de consommate­ur monter aux barricades.

De l’intérêt de composé à plus de 20 %, c’est plutôt indécent.

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