D’est en ouest, cette Europe qui se vide
Partout en Europe, on vieillit et on fait moins d’enfants. La résistance à l’égard d’une certaine immigration fait en sorte que les besoins de main-d’oeuvre sont comblés
« à l’interne ». Ajoutez-y les envies d’épanouissement personnel, et le vieux continent se retrouve avec un déséquilibre démographique : l’est se vide.
Dites « immigration de masse » et une certaine image vous vient en tête : les « caravanes » de Centro-Américains montant à travers le Mexique vers la frontière des États-Unis ; les bateaux surchargés d’Africains tentant de franchir la mer Méditerranée ; les centaines de milliers de Syriens fuyant la guerre civile vers l’Europe.
En réalité, les véritables grands mouvements s’avèrent moins spectaculaires. Avant d’assaillir les côtes européennes, les Syriens s’entassent d’abord tout à côté de chez eux : ils sont plus de trois millions et demi en Turquie et un million et demi au Liban.
Sur les quatre millions de réfugiés vénézuéliens, la Colombie en accueille 1,3 million ; le Pérou, près de 800 000. Et c’est vers le Bangladesh voisin que près d’un million de réfugiés rohingyas ont fui les violences au Myanmar. L’Union européenne connaît – de façon beaucoup moins dramatique, mais tout aussi concrète – ce genre de grand déplacement.
DIX PAYS EN DÉCLIN
Après un demi-siècle d’étouffement communiste, les pays d’Europe de l’Est ont vécu l’accès à l’Union européenne comme un grand cri de libération. L’idée de pouvoir franchir les frontières librement, de facilement s’installer ailleurs et d’y travailler confirmait – enfin – leur entrée dans la modernité.
Les conséquences ont pris différentes formes, mais une des plus alarmantes tient au départ de millions de jeunes est-européens vers l’ouest. On estime que jusqu’à 18 millions d’Européens se sont déplacés ainsi, d’est en ouest, depuis les années 90, en majorité des jeunes déjà éduqués et formés. Couplé à une baisse de la natalité, l’impact sur les pays d’origine a été tragique.
La Croatie, par exemple, a perdu 5 % de sa population depuis 2013. La Bulgarie se porte plus mal encore, alors que d’ici 2050, la population devrait baisser de 22 %. Entre 2013 et 2017, 62 000 Hongrois, âgés de 20 à 34 ans, ont pris le chemin de l’ouest. Et en Roumanie, pour prendre un micro-exemple, Onesti, la ville natale de Nadia Comaneci, a perdu la moitié de ses habitants depuis 1990.
MOINS DE MONDE, PLUS DE TENSION
Ceux et celles qui restent derrière sont plus vieux, moins productifs et souvent plus amers. Ils comprennent mal que Bruxelles exige qu’ils acceptent leur quota d’immigrants d’Afrique ou du Moyen-Orient, alors que si peu, à leurs yeux, a été fait pour encourager leurs jeunes à construire leur avenir dans leur propre pays.
En plus de prendre des allures d’exode des cerveaux, cette émigration intra-européenne a aussi pour conséquence de réduire, dans les pays perdants, le bassin d’électeurs progressistes, comme le sont souvent les jeunes. Les forces « illibérales », du coup, en profitent, tel Viktor Orban en Hongrie où la population est passée de 10,7 millions de personnes en 1980 à 9,6 millions aujourd’hui.
Le même constat démographique est tiré en Europe du Sud, du Portugal à la Grèce. Cela dit, de petites révolutions sont envisagées pour combler les besoins en main-d’oeuvre. En Italie, par exemple, où les femmes travaillent moins à l’extérieur du foyer qu’en Europe du Nord, les mentalités changent.
Récemment, The Economist soulignait que si les femmes italiennes avaient les mêmes possibilités de travailler que les Allemandes, la main-d’oeuvre italienne s’accroîtrait de 14 %. La nature craint le vide, dit-on. On n’est certainement pas au bout des bouleversements que cette émigration interne à l’Europe va entraîner.