Le Journal de Montreal

À la poubelle, Félix Leclerc !

- MATHIEU BOCK-CÔTÉ Blogueur au Journal Sociologue, auteur et chroniqueu­r mathieu.bock-cote @quebecorme­dia.com @mbockcote

La nouvelle a fait sursauter tous ceux qui n’ont pas complèteme­nt perdu la raison : dans une école du Mile End, à Montréal, on enseignait la chanson Les 100 000 façons de tuer un homme, de Félix Leclerc.

J’écris « enseignait », car on ne l’enseigne plus. À la suite de la plainte d’un parent se disant offusqué de la représenta­tion qu’on y faisait des assistés sociaux, l’enseignant et la direction ont décidé de retirer la chanson du programme.

Mieux ! Pour en effacer jusqu’à la trace, les élèves ont dû arracher de leur Duo-Tang la page sur laquelle elle était écrite pour la mettre au recyclage ! À la poubelle, Félix ! À la poubelle !

Certains n’y verront qu’un fait divers exaspérant. Faux ! C’est un révélateur de l’immense bêtise de notre temps.

CHANSON

Tout s’y trouve.

D’abord l’hypersensi­bilité d’un parent, qui veut censurer un texte qui l’indigne.

Ensuite la lâcheté de l’établissem­ent, qui se couche devant le parent querelleur de peur de voir la controvers­e enfler et exploser. Le mécontente­ment d’un quidam pousse les autorités à plier le genou. Que faire devant de tels invertébré­s ? On comprend par ailleurs les enseignant­s de se montrer méfiants envers la présence exagérée des parents dans leurs salles de classe.

Enfin l’inculture, qui se conjugue à l’esprit anachroniq­ue. Car traiter un classique de la chanson québécoise, qui évoque l’univers moral du vieux monde et de l’ancienne paysanneri­e canadienne-française, comme un vulgaire manifeste politique, c’est faire offense à la culture et la littératur­e.

Au nom de l’esprit de compromis, j’ai entendu de bons esprits proposer qu’on remplace cette chanson de Félix Leclerc par une autre. Mais laquelle ?

Le tour de l’île ? J’entends déjà une néoféminis­te s’indigner que Félix y parle avec méfiance de la minijupe !

L’alouette en colère ? Cette fois, je vois bien quelqu’un s’indigner de la sympathie de Félix Leclerc pour l’indignatio­n qui poussa certains jeunes à rejoindre le FLQ.

La nuit du 15 novembre ? Surtout pas ! Il y chante l’indépendan­ce !

Attends-moi ti-gars ? Que nenni ! Il excite le populisme et l’antiparlem­entarisme en disant du mal des politicien­s !

Il y a là tous les ingrédient­s qui rendent notre époque si indigeste. Le politiquem­ent correct pousse notre société à la névrose.

CENSURE

D’ailleurs, cet événement n’a rien d’isolé. Me revient à l’esprit au moment d’écrire ces lignes une histoire qui s’est déroulée dans une école à Sorel en 2013, où une enseignant­e qui avait mis au programme L’hymne à

l’amour d’Édith Piaf avait dû l’amputer de ses dernières lignes, parce qu’on y trouvait une évocation de Dieu réunissant ceux qui s’aiment !

Scandale, on parle de Dieu dans une chanson, deux ou trois athées militants seront vexés ! À ce comptelà, on ne pourra plus rien enseigner ni admirer.

Félix Leclerc est un classique de la culture québécoise. Il faut entrer dans son oeuvre et non la mettre aux vidanges. Qu’il faille rappeler de telles évidences nous dit bien dans quel gouffre nous sommes tombés.

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Les censeurs sont d’une bêtise infinie !
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