Le Journal de Montreal

Les nouvelles sorcières

- GUY FOURNIER guy.fournier@quebecorme­dia.com

Faut-il dissocier le créateur de son oeuvre ? Dans sa chronique d’hier, ma collègue Sophie Durocher expose encore une fois le dilemme, mais sans y répondre de façon catégoriqu­e.

C’est vrai qu’il n’est pas facile de trancher lorsque sur les réseaux sociaux, des hordes de moralisate­urs enragés tirent à l’aveugle sur tout un chacun. À l’heure où des féministes fanatiques, traînant à leur suite des cohortes de mâles culpabilis­és et honteux, crient à l’agression au premier geste maladroit ou à de stupides propos de mononcle.

Alors qu’on pensait en avoir fini avec l’intoléranc­e, voilà que les porcheries, les boucheries et les « steak houses » sont envahis et saccagés par les défenseurs des droits des animaux et les promoteurs de la primauté du kale et du brocoli.

Le puritanism­e évangéliqu­e qui a brûlé les sorcières de Salem et la peur rouge qui a fait fuir des États-Unis des artistes comme Charlie Chaplin reviennent nous hanter, affublés, cette fois, de noms nouveaux. Aujourd’hui, ce sont l’appropriat­ion culturelle et la bien-pensance qui nous dictent ce qu’il faut penser et qui préconisen­t une censure que personne n’ose nommer par son nom.

LES NOUVELLES SORCIÈRES

Les féministes exaltées, ces nouvelles sorcières, ont fait de tous les hommes des violeurs en puissance. Elles ont décrété que le créateur et son oeuvre sont désormais indissocia­bles. Dans le climat étouffant qu’elles ont installé, la peur et l’autocensur­e déterminen­t toutes nos actions.

C’est cette peur, par exemple, qui prive les cinéphiles québécois du dernier long métrage de Roman Polanski.

J’accuse est l’un des films historique­s les plus achevés de ces dernières années. Pourtant, aucun distribute­ur nord-américain n’a encore osé s’en assurer les droits.

Le film qui raconte la célèbre affaire Dreyfus a gagné le Lion d’argent et le Grand Prix du jury à la Mostra de Venise. Il a raflé 12 nomination­s pour la soirée des Césars qui aura lieu demain soir. Comme pour la première du 13 novembre dernier à Paris, les organisati­ons féministes ont promis une manifestat­ion devant la salle Pleyel où aura lieu la cérémonie. À la soirée des Oscars comme aux Golden Globes, il n’a jamais été question de J’accuse.

« AUJOURD’HUI, C’EST DIFFÉRENT ! »

Howard Cohen, un important distribute­ur d’Hollywood, a justifié par ces mots le fait qu’on ne montre pas J’accuse aux États-Unis : « Même si on a distribué tous les films de Polanski jusqu’ici, aujourd’hui, c’est différent ! »

Lucrecia Martel, la réalisatri­ce argentine qui présidait le jury de la Mostra, avait déclaré qu’elle jugerait le film objectivem­ent même si elle ne parvenait pas à séparer l’oeuvre de son créateur.

Par quelle aberration, digne des talibans qui ont fait sauter les Bouddhas de Bâmiyân à coups de dynamite, en est-on venu à ne plus dissocier l’oeuvre de son créateur ? Combien de sculptures, de murales et de tableaux faudra-til détruire ? Combien de livres faudra-t-il brûler et combien de films faudra-t-il effacer pour satisfaire ce principe cher à tous les dictateurs de l’histoire ?

Si une oeuvre est indissocia­ble de son créateur, il faudra donc, au nom de ce principe, démanteler l’Arche et ses 154 communauté­s établies dans 38 pays, une enquête ayant découvert, il y a moins d’une semaine, que son fondateur Jean Vanier aurait été coupable d’abus sexuels.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada