L’immunité pour Legault ?
Le moins qu’on puisse dire, c’est que le premier ministre n’était vraiment pas content que ses anciennes relations d’affaires soient évoquées par les médias.
« Je n’ai aucun problème à discuter des faits. Là où j’ai des problèmes, et il faut que ça cesse, c’est les amalgames, des fausses associations et surtout la culpabilité par association. Il faut que ça arrête, on ne peut plus continuer avec cette ambiance-là. »
Ça, c’était Philippe Couillard il y a cinq ans.
Il réagissait à des manchettes du Journal. L’une rapportait qu’une entreprise dont il avait été administrateur avait reçu un prêt d’Investissement Québec. L’autre rapportait qu’il avait siégé au même conseil d’administration qu’un homme accusé de fraude. Affirmant qu’il n’avait rien à voir dans la première affaire, il s’estimait victime d’un « effort de démolition ». Le premier ministre attribuait à la bonne tenue de l’économie et des finances publiques qu’on veuille le faire mal paraître.
À l’époque, le chef de la deuxième opposition s’était gâté. Loin de prendre la défense de Philippe Couillard, il l’accusait d’avoir manqué de jugement.
D’HIER À AUJOURD’HUI
Aujourd’hui, c’est François Legault qui se plaint d’être victime du mauvais traitement des médias. Ouvrant un point de presse en pleine crise autochtone et alors que les marchés descendent en vrille, il a tenu à réagir à une manchette du Journal rapportant qu’une autre entreprise appartenant à son ami Charles Sirois avait reçu une contribution d’Investissement Québec.
« Je n’accepte pas ça, je trouve ça dur à prendre et je trouve ça dur à expliquer à ma famille », a dit le premier ministre. « Je pense qu’on a besoin d’une réflexion sérieuse au Québec parce que si on veut attirer en politique des gens compétents, des gens de qualité, va falloir arrêter ce genre d’articles là », a-t-il ajouté, ayant manifestement oublié ses années dans l’opposition.
LA TRIBUNE
Charles Sirois est un Québécois qui a eu du succès en affaires. Il en a acquis une certaine influence, qu’il n’a pas manqué d’utiliser pour peser sur la vie politique, comme c’est le droit de tout citoyen. En 1998, il a agi comme parrain de Jean Charest lors de son passage en politique québécoise, et, en 2011, il a cofondé la Coalition avenir Québec avec François Legault.
Que les entreprises de Charles Sirois — qui a probablement plus peur de la fin du monde que de la fin du mois — aient besoin ou pas d’un soutien de l’État, c’est évidemment quelque chose qui se discute. Dans un Québec en manque de capital de risques, qui cherche à améliorer sa productivité et à diversifier son économie, il y a tout un paquet de raisons stratégiques qui font en sorte qu’il peut être avantageux pour le gouvernement de participer à la concrétisation de certains projets d’investissement. C’est une chose.
Cela dit, qu’on demande ensuite aux médias de ne pas en parler, c’en est une autre. Qu’on exige également qu’ils ne mentionnent pas les connexions politiques de l’homme riche et influent qui en bénéficie, c’en est une autre encore. Mais qu’un premier ministre utilise la tribune dont aucun autre citoyen ne pourrait se prémunir pour se plaindre, ça commence à bien faire.
Surtout, ce serait demander pour le premier gouvernement caquiste de l’histoire du Québec une immunité dont n’a bénéficié aucun de ceux qui l’ont précédé. Comme ancien conseiller de la première ministre Pauline Marois, je peux vous assurer qu’aucune manchette concernant les affaires de son mari, leurs propriétés ou leurs voitures ne lui fut épargnée. Et, pendant que vous y êtes, allez donc demander aux membres de la famille de Jean Charest s’ils trouvent que le Bureau d’enquête du Journal a été clément à son endroit. De mon bord, je peux vous assurer que Pierre Karl Péladeau ne nous a pas trouvés particulièrement gentils à son égard pendant qu’il était chef du Parti
Québécois.
PAS QUE DES ÉLOGES
« Il faut donc en conclure que François Legault réclame une forme d’immunité journalistique. Je suis au regret de l’informer que ça n’arrivera pas. »
À la fin, nos journalistes ne font que leur travail. Et on constate justement quand on se parle entre nous que le personnel politique du gouvernement caquiste est de plus en plus zélé à faire connaître son mécontentement quand un article qu’on estime désavantageux paraît. Ça fait quelques fois que François Legault se permet d’interpeller un journaliste pendant un point de presse parce qu’il n’a pas aimé son papier de la veille.
Pourtant, son gouvernement fait l’objet du même traitement par Le
Journal que les autres avant lui. On peut également souligner qu’il a reçu plus d’un commentaire très élogieux de chroniqueurs de cette publication qui appuient ses initiatives en matière de laïcité ou d’éducation. Il faut donc en conclure que François Legault réclame une forme d’immunité journalistique. Je suis au regret de l’informer que ça n’arrivera pas.
Diriger le gouvernement du Québec est évidemment une tâche difficile et trop souvent ingrate. Elle vient toutefois avec le privilège de bénéficier de pouvoirs sans égaux en démocratie pour contribuer à définir la trajectoire de notre nation. Elle se double de l’opportunité de développer une relation unique avec les Québécois.
Que François Legault continue de prendre la mesure de toute la chance qu’il a d’être premier ministre du Québec et qu’il en jouisse en acceptant que l’action de son gouvernement continue d’être scrutée par ceux dont c’est le travail. On n’est pas en Corée du Nord.