Le Journal de Montreal

Quelle ministre des Affaires autochtone­s ?

- RÉMI NADEAU Chef du Bureau parlementa­ire à Québec

Jusqu’ici, le gouverneme­nt Legault nous a habitués à réagir rapidement et à déplacer ses ministres responsabl­es sur les lieux de crise ou de catastroph­e. Mais malgré la montée de la tension et un blocus à Kahnawake, sa ministre des Affaires autochtone­s est invisible…

Bien sûr, la crise provient d’un conflit sur le territoire de la communauté wet’suwet’en en Colombie-Britanniqu­e. Il est de la responsabi­lité du gouverneme­nt fédéral de dénouer l’impasse, alors que des manifestan­ts ont bloqué le chemin forestier, en opposition au projet de gazoduc Coastal GasLink, en constructi­on là-bas.

Le chemin de fer, partout au Canada, a fait l’objet de divers blocus en appui aux Wet’suwet’en et la responsabi­lité première revient à Justin Trudeau de trouver une sortie de crise, le plus rapidement possible.

On ne peut plus calculer tous les impacts tellement il y en a. De l’annulation de trajets de train de VIA Rail aux difficulté­s d’approvisio­nnement de nombre d’entreprise­s, en passant par le licencieme­nt temporaire de travailleu­rs qui font injustemen­t les frais de la crise.

TRAIN-TRAIN QUOTIDIEN

En début de semaine, la tension a monté de plusieurs crans à Kanesatake et à Kahnawake. Menaces de bloquer le pont Mercier, barricade renforcée malgré une injonction obtenue par le Canadien Pacifique (CP).

Et pendant ce temps, la ministre des Affaires autochtone­s du Québec, Sylvie D’Amours, était en tournée au Saguenay–Lac-Saint-Jean. Elle s’est rendue dans les centres d’amitié autochtone­s où elle avait des visites planifiées. Le train-train quotidien, quoi, même si le torchon brûlait près de Montréal.

Le Journal a demandé une entrevue avec la ministre afin qu’elle expose sa vision pour la suite des choses. Pour qu’elle explique de quelle façon elle intervenai­t auprès des leaders autochtone­s impliqués, des élus inquiets des municipali­tés touchées.

Silence radio. Pas de présence sur le terrain ni d’interventi­on publique. Ne serait-ce que pour calmer le jeu. Montrer du leadership.

DÉSENGAGÉE ?

« Elle fait les engagement­s légers, mais pour tout ce qui semble se corser ou nécessiter un positionne­ment politique, elle s’en dégage », déplore le chef de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador

(APNQL), Ghislain Picard.

La ministre québécoise des Affaires autochtone­s ne devrait-elle pas se montrer présente, assurer un dialogue entre le gouverneme­nt, la société québécoise et les communauté­s autochtone­s, dans l’actuel contexte de tensions ?

Poser la question, c’est y répondre, selon le chef Picard. « On s’entend tous qu’une fois qu’on aura traversé ce qu’on a à traverser, concernant les blocus actuels, il faudra rétablir les ponts, et ça doit se préparer d’avance. »

D’abord, pour entreprend­re un dialogue avec le chef du Conseil mohawk de Kahnawake, Joe Norton, il faudrait commencer par être capable de parler anglais, ce qui n’est même pas le cas de la ministre, fait-il remarquer.

En début de mandat, l’absence de la ministre responsabl­e avait été signalée alors que le député d’Ungava et des fonctionna­ires avaient été dépêchés d’urgence dans le Grand Nord à la suite d’une vague de suicides chez les Inuits.

LA RESPONSABI­LITÉ AU FÉDÉRAL

Une source gouverneme­ntale soutient que la ministre D’Amours n’est pas « cachée », mais admet du même souffle qu’il lui a été demandé de rester à l’écart de la crise.

Comme si sa présence signifiera­it que le gouverneme­nt du Québec devient responsabl­e du dénouement d’une crise dont l’origine se situe en Colombie-Britanniqu­e.

« On ne veut pas décharger la responsabi­lité du fédéral et la prendre sur nous », résume-t-on.

On comprend, mais c’est tout de même en parfaite contradict­ion avec ce que la ministre D’Amours affirmait elle-même lors d’une interpella­tion, au Salon bleu, le 14 février dernier.

« Il n’y a pas un chef autochtone qui peut dire que je me suis lavé les mains sur un dossier parce que c’est du ressort du fédéral », a-t-elle clamé, ajoutant : « vous me jugerez par les actions que j’aurai faites ».

Jusqu’ici, dans la crise actuelle, on cherche les actions.

Et selon le chef de l’APNQL, Ghislain Picard, la ministre « ne semble pas saisir l’enjeu de l’accès au territoire des communauté­s autochtone­s, qui est beaucoup plus large que le seul conflit avec les Wet’suwet’en ».

Les discussion­s avec les communauté­s autochtone­s amènent leur lot de frustratio­n, notamment parce que des chefs ancestraux, ou des factions, ne reconnaiss­ent pas les élus des conseils de bande. Mais présenteme­nt, des gens ont peur à Kanesatake et à Kahnawake.

S’il n’y a pas d’efforts pour créer des canaux de communicat­ion, s’il n’y a pas de discussion­s plus larges, il faut craindre d’autres blocus et des crises difficiles à dénouer.

 ?? La ministre Sylvie D’Amours ?? « Il n’y a pas un chef autochtone qui peut dire que je me suis lavé les mains sur un dossier parce que c’est du ressort du fédéral. » -
La ministre Sylvie D’Amours « Il n’y a pas un chef autochtone qui peut dire que je me suis lavé les mains sur un dossier parce que c’est du ressort du fédéral. » -
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