Le Journal de Montreal

Le manque de formation génère une série d’accidents de grutiers

Syndicat et patrons expliquent la hausse d’incidents depuis six mois par le faible niveau académique

- DOMINIQUE SCALI Le Journal de Montréal

Camion renversé, flèche de grue pliée, travailleu­rs en choc nerveux ; plusieurs accidents récents impliquant des grutiers qui n’avaient pas leur diplôme de formation profession­nelle laissent craindre pour la sécurité sur les chantiers.

« Ce n’est plus une question de savoir s’il y aura des morts, mais de savoir quand », dit Evans Dupuis, directeur de l’Union des opérateurs grutiers.

Le Journal soulignait hier que le nombre d’étudiants en formation profession­nelle était en baisse constante dans une panoplie de domaines, notamment en constructi­on, où le plein emploi pousse les aspirants à aller directemen­t sur le marché du travail.

Le syndicat des grutiers est particuliè­rement inquiet de cette baisse. M. Dupuis dénombre six accidents depuis six mois.

INCIDENTS EN SÉRIE

À Beauharnoi­s, en septembre, une grue serait tombée sur le côté, atterrissa­nt sur la base d’une autre grue et écrasant un chariot élévateur. Quatre travailleu­rs auraient été amenés à l’hôpital pour un choc nerveux, relate M. Dupuis.

Toujours en septembre, un camion-grue de quelque 30 tonnes aurait basculé sur une toiture à Valleyfiel­d, rapporte aussi M. Dupuis.

En février, un accident serait survenu dans un garage d’autobus. La flèche d’une grue de 90 tonnes aurait été pliée en deux, illustre-t-il.

Dans tous ces cas, la personne opérant la grue n’avait pas obtenu son diplôme de formation profession­nelle (DEP).

Il est possible, pour un travailleu­r d’apprendre le métier de grutier sans passer par les bancs d’école, à condition d’être formé dans l’entreprise qui l’engage.

En 2019, la réglementa­tion a pourtant été resserrée. Un aspirant grutier doit maintenant suivre 120 heures de formation avant même d’accéder au chantier, indique Pascal Gingras de la Commission de la constructi­on du Québec.

Mais ce n’est toujours pas suffisant, dit Franco Santoriell­o de l’Associatio­n des entreprene­urs en coffrage structurel du Québec (AECSQ). Déjà que les sept mois de formation du DEP, c’est « minimal », ajoute-t-il.

Un entreprene­ur comme lui n’est pas bien placé pour former un aspirant grutier à toutes les situations qu’il rencontrer­a dans sa carrière, mais seulement à ses machines et son chantier à lui, explique-t-il.

MÉTIER DANGEREUX

« Quand tu as juste une petite formation, tu n’es pas conscient du danger », ajoute M. Dupuis.

Ceux qui ont déjà opéré une grue avant d’aller faire leur DEP disent souvent : « On a appris à quel point on était dangereux et à quel point on ne connaissai­t rien », rapporte-t-il.

Ce combat, l’Union des grutiers le mène depuis des années. Les grutiers avaient même paralysé les chantiers pendant 10 jours, en 2018, avec une grève illégale.

Evans Dupuis continue donc de demander au ministère du Travail de rendre la formation profession­nelle obligatoir­e pour les nouveaux grutiers, surtout qu’il s’agit d’un métier où il n’y a pas de pénurie de main-d’oeuvre, selon lui.

Le ministre Jean Boulet dit partager ces préoccupat­ions. Mais « les données ne démontrent pas d’augmentati­on de la fréquence et de la gravité des accidents impliquant une grue », indique son cabinet.

Le Journal a tenté d’obtenir ces chiffres, mais ceux fournis par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) s’arrêtent en 2018.

 ?? PHOTOS COURTOISIE EVANS DUPUIS ET DOMINIQUE SCALI ?? Un camion-grue renversé sur le côté lors d’un accident à Laval, en septembre dernier. En mortaise : Evans Dupuis (gauche) et Franco Santoriell­o. Le syndicat et les patrons des grutiers s’entendent pour dire que les exigences de formation actuelles sont insuffisan­tes.
PHOTOS COURTOISIE EVANS DUPUIS ET DOMINIQUE SCALI Un camion-grue renversé sur le côté lors d’un accident à Laval, en septembre dernier. En mortaise : Evans Dupuis (gauche) et Franco Santoriell­o. Le syndicat et les patrons des grutiers s’entendent pour dire que les exigences de formation actuelles sont insuffisan­tes.
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