Le manque de formation génère une série d’accidents de grutiers
Syndicat et patrons expliquent la hausse d’incidents depuis six mois par le faible niveau académique
Camion renversé, flèche de grue pliée, travailleurs en choc nerveux ; plusieurs accidents récents impliquant des grutiers qui n’avaient pas leur diplôme de formation professionnelle laissent craindre pour la sécurité sur les chantiers.
« Ce n’est plus une question de savoir s’il y aura des morts, mais de savoir quand », dit Evans Dupuis, directeur de l’Union des opérateurs grutiers.
Le Journal soulignait hier que le nombre d’étudiants en formation professionnelle était en baisse constante dans une panoplie de domaines, notamment en construction, où le plein emploi pousse les aspirants à aller directement sur le marché du travail.
Le syndicat des grutiers est particulièrement inquiet de cette baisse. M. Dupuis dénombre six accidents depuis six mois.
INCIDENTS EN SÉRIE
À Beauharnois, en septembre, une grue serait tombée sur le côté, atterrissant sur la base d’une autre grue et écrasant un chariot élévateur. Quatre travailleurs auraient été amenés à l’hôpital pour un choc nerveux, relate M. Dupuis.
Toujours en septembre, un camion-grue de quelque 30 tonnes aurait basculé sur une toiture à Valleyfield, rapporte aussi M. Dupuis.
En février, un accident serait survenu dans un garage d’autobus. La flèche d’une grue de 90 tonnes aurait été pliée en deux, illustre-t-il.
Dans tous ces cas, la personne opérant la grue n’avait pas obtenu son diplôme de formation professionnelle (DEP).
Il est possible, pour un travailleur d’apprendre le métier de grutier sans passer par les bancs d’école, à condition d’être formé dans l’entreprise qui l’engage.
En 2019, la réglementation a pourtant été resserrée. Un aspirant grutier doit maintenant suivre 120 heures de formation avant même d’accéder au chantier, indique Pascal Gingras de la Commission de la construction du Québec.
Mais ce n’est toujours pas suffisant, dit Franco Santoriello de l’Association des entrepreneurs en coffrage structurel du Québec (AECSQ). Déjà que les sept mois de formation du DEP, c’est « minimal », ajoute-t-il.
Un entrepreneur comme lui n’est pas bien placé pour former un aspirant grutier à toutes les situations qu’il rencontrera dans sa carrière, mais seulement à ses machines et son chantier à lui, explique-t-il.
MÉTIER DANGEREUX
« Quand tu as juste une petite formation, tu n’es pas conscient du danger », ajoute M. Dupuis.
Ceux qui ont déjà opéré une grue avant d’aller faire leur DEP disent souvent : « On a appris à quel point on était dangereux et à quel point on ne connaissait rien », rapporte-t-il.
Ce combat, l’Union des grutiers le mène depuis des années. Les grutiers avaient même paralysé les chantiers pendant 10 jours, en 2018, avec une grève illégale.
Evans Dupuis continue donc de demander au ministère du Travail de rendre la formation professionnelle obligatoire pour les nouveaux grutiers, surtout qu’il s’agit d’un métier où il n’y a pas de pénurie de main-d’oeuvre, selon lui.
Le ministre Jean Boulet dit partager ces préoccupations. Mais « les données ne démontrent pas d’augmentation de la fréquence et de la gravité des accidents impliquant une grue », indique son cabinet.
Le Journal a tenté d’obtenir ces chiffres, mais ceux fournis par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) s’arrêtent en 2018.