Le Journal de Montreal

HENRI « FLASH » RICHARD

Le numéro 9 du petit Canadien lors de sa visite à Chicoutimi en mars 1954

-

C’était le 6 mars 1954. Dieu soit remercié, le 6 mars était un samedi. Ce qui voulait dire que je pourrais accompagne­r mes tantes au Colisée de Chicoutimi.

J’avais dix ans. Fou du hockey et fou de mes Saguenéens. Les frères Lou et Stan Smrke, Pete Tkachuk, Jimmy Bartlett, je n’ai rien oublié. Stan Smrke portait le numéro cinq après le départ de Jean-Paul Lamirande, c’était mon numéro sur le chandail des Sags que je portais pour aller à l’école.

Mais le 6 mars 1954, c’était spécial. Le petit frère de Maurice Richard allait affronter les gros Saguenéens dans un match hors-concours. Je ne veux pas déraper dans mes souvenirs. Malgré toutes les recherches hier de mon collègue François Lafortune dans les archives au Saguenay, je n’ai pas retrouvé cette informatio­n. Mais je pense que les défenseurs des Sags avaient été prêtés au petit Canadien pour le renforcir.

M’en foutais, j’étais là pour Henri « Flash » Richard, le numéro 9 du petit Canadien et ses partenaire­s de trio, Claude Vinet et Claude Provost.

On n’avait pas la télé à Chicoutimi-Nord. Mais en lisant le Montréal-Matin en cachette, j’avais appris que « Flash » Richard était le patineur le plus rapide au monde ! Plus vite que « ti-Nomme » Dussault des Saguenéens, lui-même un ancien du Canadien.

J’avais bien mal vécu le match. Je prenais pour le Canadien quand Henri était sur la patinoire et pour les Sags quand il se reposait.

Dans une sorte de brouillard d’enfance, j’ai des images d’Henri, de Provost et de Vinet. Je ne sais pas qui a gagné, mais je sais que « Flash » avait marqué.

Mais j’avais vu jouer le frère de Maurice Richard. Y pensez-vous ? Ne pas avoir de télévision dans sa région, avoir dix ans et avoir VU patiner « Flash » Richard et son numéro 9.

Comme celui de Maurice.

LA DERNIÈRE SÉRIE DU « POCKET ROCKET »

Fast forward. Avril 1975. J’ai 30 ans. J’ai entrepris fin février-début mars une nouvelle carrière comme chroniqueu­r de hockey à La Presse.

Trois jours d’anglais chez Berlitz et salut, Falardeau, je débarque à New York.

J’ai vite compris que je n’avais aucune chance d’arracher une exclusivit­é quelconque au capitaine Henri Richard. C’était la chasse gardée d’Yvon Pedneault de Montréal-Matin et de Bertrand Raymond du Journal.

Henri avait déjà 38 ans, il avait les cheveux grisonnant­s et parlait rarement. Les grandes gueules s’appelaient plus Serge Savard, Guy Lapointe, Yvon Lambert ou Pete Mahovlich. Mais avec mes trois mots d’anglais, les bonnes blagues de Mahovlich se retrouvaie­nt rarement dans La Presse .« Number 20 in the program, number one in your heart ».

Ça m’a pris une semaine avant de comprendre pourquoi la fille lui donnait rendez-vous au bar à chaque autographe !

Mais j’avais remarqué aussi qu’il suffisait que le capitaine lui jette un regard tanné pour que le grand Pete reprenne son trou. Henri ne parlait pas souvent, mais quand il parlait, ça pouvait tuer.

Quatre ans plus tôt, en mai 1971, quelques mois après la crise d’Octobre, en pleine finale de la Coupe Stanley, ulcéré parce que le coach Al McNeil lui avait fait sauter des tours à Chicago, il bouillonna­it dans le vestiaire quand le reporter du Journal

de Montréal était entré. Une phrase. Une seule : « C’est le pire coach pour qui j’ai jamais joué ! » et après la conquête de la coupe Stanley et une manchette monstrueus­e en une du

Journal, Al McNeil était « promu » directeur général des Voyageurs de la Nouvelle-Écosse dans la Ligue américaine.

LE POIDS D’UN RICHARD EN COLÈRE

En 1975, le Canadien avait perdu ses deux premiers matchs de la demi-finale à Buffalo. Le premier, le 27 avril, en prolongati­on. Le deuxième 4 à 2 en temps réglementa­ire.

C’est sans doute après le deuxième match que j’ai senti ce qu’était une colère d’Henri Richard. Quand Claude Mouton avait ouvert le vestiaire après les dix minutes réglementa­ires,

les joueurs étaient encore assis à leur place, en train d’enlever leurs épaulettes et leurs jambières.

La soirée avait été difficile. Gilbert Perreault, Richard Martin et René Robert, la « French Connection », avaient patiné comme l’enfer, et Henri et ses 38 ans avaient peiné.

Richard était tout nu, presque au centre de la pièce, comme chétif sur ses 5 pieds et sept pouces. Le poil abondant et grisonnant, il était comme dans un état second. Il répétait d’une voix presque inaudible une série de tabarnaks. Sans regarder personne, perdu dans sa colère contre la défaite.

Pas un joueur ne parlait. Mes collègues jetaient un coup d’oeil avant de plonger dans la routine d’après une défaite. Parler à Ken Dryden, à Serge Savard, à Larry Robinson, à Yvon Lambert, à Pete Mahovlich.

Tous les joueurs attendaien­t que leur capitaine retrouve son calme. Quand il s’était retourné pour faire face à son casier, on avait senti une énorme tension se dissoudre. Ce fut la première fois que j’ai senti ce poids. Le poids d’un Richard en colère.

UN GRAND CHAMPION EST PARTI

J’ai choisi de vous raconter mes alpha et oméga de la carrière d’Henri

Richard. Comme je l’ai vécu enfant et jeune adulte.

D’autres auront mille exploits à raconter et ils le feront mieux que moi. Je sais juste qu’Henri Richard a gagné 11 coupes Stanley. Qu’il a succédé à un capitaine qui en avait gagné 10 et que le capitaine qui lui a succédé en a gagné 10 lui aussi. Jean Béliveau et Yvan Cournoyer.

C’était une race d’hommes exceptionn­els dans une société qui n’existe plus. C’était des Canadiens de Montréal. Leur chandail était sacré. La coupe Stanley était un calice dans lequel ils étaient prêts à verser leur sang. Au salaire qu’ils faisaient, ils n’auraient pu y verser du champagne, c’était trop cher.

Ils aimaient le monde. Parce qu’ils faisaient partie du monde. Quand Henri et la belle Lise, sa femme, assistaien­t à un match avec leur abonnement de saison dans la section 1 du Forum, Henri passait les entractes à saluer les gens qui faisaient le détour pour le voir de proche.

À sa taverne, Henri sortait de sa coquille. Son sens de l’humour moqueur se déployait mieux.

Et c’est sur un terrain de tennis qu’on retrouvait le caractère de gagnant de « Flash » Richard.

Il serait mort plutôt que d’abandonner une balle jouable…

S’il est parti pour de bon, qu’on se dise qu’il n’y avait plus moyen de gagner la game…

 ?? PHOTOS D’ARCHIVES ET COURTOISIE ?? Appuyé par Jacques Laperrière, le capitaine Henri Richard amorce une attaque vers la zone adverse. Sur la première photo noir et blanc, Henri pose entre Claude Vinet (à sa droite) et Claude Provost. Pour le match disputé du petit Canadien au Colisée de Chicoutimi, le 5 mars 1954, Henri portait le numéro 9, celui de son frère avec le grand Canadien.
PHOTOS D’ARCHIVES ET COURTOISIE Appuyé par Jacques Laperrière, le capitaine Henri Richard amorce une attaque vers la zone adverse. Sur la première photo noir et blanc, Henri pose entre Claude Vinet (à sa droite) et Claude Provost. Pour le match disputé du petit Canadien au Colisée de Chicoutimi, le 5 mars 1954, Henri portait le numéro 9, celui de son frère avec le grand Canadien.
 ?? RÉJEAN TREMBLAY rejean.tremblay@ quebecorme­dia.com ??
RÉJEAN TREMBLAY rejean.tremblay@ quebecorme­dia.com
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada