Le Journal de Montreal

« Le monde ne me croit pas que je ne veux pas d’enfant »

- ÉMÉLIE RIVARD-BOUDREAU Collaborat­ion spéciale

LAC-SAGUAY – Une jeune femme des Hautes-Laurentide­s a traversé tout un chemin de croix avant d’obtenir une ligature des trompes. À la mi-vingtaine, Patricia Bélanger était convaincue de n’avoir aucune fibre maternelle et de devoir limiter le nombre de naissances pour l’avenir de la planète, mais persuader le personnel médical n’a pas été une mince affaire.

Patricia Bélanger a 30 ans. Il y a deux ans, à 28 ans, elle obtenait une ligature des trompes, après avoir traversé une série d’éprouvante­s rencontres médicales, dignes des 12 travaux d’Astérix. « En septembre 2016, je suis allée voir le médecin et je lui ai dit que je voulais ardemment une ligature des trompes… sur quoi il m’a gentiment envoyée promener ».

En fait, le refus n’a pas été catégoriqu­e. Première condition à respecter : en parler avec son conjoint. « Je ne t’opère pas si ton chum n’est pas au courant », lui a-t-on dit, une réponse qui n’est pas approuvée par le Collège des médecins [voir autre texte]. « Je comprenais qu’un bébé, ça se fait à deux, mais j’ai trouvé ça un peu insultant de devoir demander à mon chum pour me faire opérer », soulignet-elle. « Qui va le porter cet enfant-là ? Qui va l’accoucher ? Qui risque de rester “pogné” avec ? », enchaîne-t-elle.

Six mois plus tard, en mars 2017, Patricia Bélanger retourne chez son médecin, cette fois avec son conjoint, afin qu’il puisse « attester » la décision. « Au départ, pour moi, avoir un enfant, c’était le roulement normal des choses. Ça m’a fait réaliser que je ne suis pas obligé d’en avoir », exprime Dany Courtemanc­he, aujourd’hui âgé de 33 ans. Sa dysphasie légère, qui altère quelque peu son langage, a aussi influencé son choix. « Parler, choisir et exprimer les bons mots à cet enfant-là, ça serait peut-être pas mal intense pour moi », confie-t-il.

Sans trop de réticence, le médecin approuve la poursuite de la démarche en dirigeant sa patiente vers une psychologu­e qu’elle rencontre en juillet 2017. « J’avais l’impression de prendre la place de quelqu’un qui en avait vraiment besoin. Moi, je n’avais pas de problèmes psychologi­ques, c’est juste que le monde ne me croit pas que je ne veux pas d’enfants ! », s’insurge-t-elle encore, deux ans plus tard.

ENFIN ! L’OPÉRATION !

Une fois le rapport psychologi­que reçu, en août 2017, le médecin de famille de Patricia Bélanger transmet la demande d’interventi­on à Mont-Laurier et à Sainte-Agathe. « Mon médecin de famille a été ouvert. Ç’a été le moins chiant de la gang », constate la jeune femme aujourd’hui.

La première réponse est arrivée de l’hôpital de Mont-Laurier six mois plus tard, en février 2018. « J’ai trouvé ça très long », se rappelle-t-elle. Elle apprend qu’avant l’opération, une consultati­on avec la chirurgien­ne s’impose. Cette étape a été éprouvante. Confrontée sur tous ses arguments, Patricia Bélanger est sortie de sa rencontre avec le sentiment d’avoir été flouée, même si l’opération avait été approuvée. « J’avais vraiment l’impression que ça n’allait pas se faire. Je me suis sentie jugée. Elle m’a dit que le désir de procréer était quelque chose de beaucoup plus fort qu’une “lubie écologique”. Elle a même utilisé le fait que j’aie supposémen­t “changé” d’orientatio­n sexuelle pour remettre en question la lucidité de ma décision », raconte la femme qui se décrit comme bisexuelle.

Finalement, le jour tant attendu arrive trois mois plus tard. À l’âge de 28 ans, le 11 mai 2018, près de deux ans après avoir exprimé son souhait, Patricia Bélanger sera opérée. Le matin même, la nervosité se fait sentir. « C’était surtout pour l’opération chirurgica­le, mais jamais je n’ai été dans le doute ».

MAMAN, NON MERCI !

Aussi loin qu’elle se souvienne, Patricia Bélanger ne s’est jamais imaginé devenir mère de famille. « Je n’ai jamais vraiment été intéressée à la maternité. Je n’ai pas eu de grosses réflexions avec moi-même », raconte-t-elle. « J’ai le sommeil très difficile. J’ai aussi l’impression que je serais un peu un genre de papa gâteau, qui se fierait sur son conjoint pour élever l’enfant et qui ne serait jamais là », compare la préposée aux bénéficiai­res à l’hôpital de Rivière-Rouge.

Dans son quotidien, Patricia Bélanger adopte un mode de vie qui réduit au maximum la production de déchets et l’émission de gaz à effets de serre (GES). Elle possède une voiture électrique, sa maison est construite en grande partie avec des matériaux recyclés, elle achète ses aliments en vrac et confection­ne ses produits d’hygiène personnell­e.

En 15 mois, elle et son conjoint ont généré à peine un sac de déchets. Pour elle, faire une croix sur la maternité va de pair avec ses conviction­s. « La première chose que tu peux faire pour la planète c’est de ne pas faire d’enfants ou d’en faire moins. Chaque humain qu’on met sur la terre a un coût environnem­ental vraiment important », soutient-elle.

Bisexuelle, Patricia Bélanger a été en couple pendant plusieurs années avec des femmes. La question de la contracept­ion de ne posait pas, mais celle des enfants, elle, s’imposait malgré tout. « Par deux fois, j’ai dû laisser des femmes parce qu’elles voulaient absolument avoir des enfants et moi, je n’en voulais pas », regrette-t-elle.

Patricia Bélanger est donc soulagée aujourd’hui de ne plus avoir à jongler avec le souci de la contracept­ion. En témoignant de son histoire, elle souhaite pouvoir susciter une réflexion tant sur la maternité en soi que sur ses impacts écologique­s.

« JE COMPRENAIS QU’UN BÉBÉ, ÇA SE FAIT À DEUX, MAIS J’AI TROUVÉ ÇA UN PEU INSULTANT DE DEVOIR DEMANDER À MON CHUM POUR ME FAIRE OPÉRER. QUI VA LE PORTER CET ENFANT-LÀ ? QUI VA L’ACCOUCHER ? QUI RISQUE DE RESTER “POGNÉ” AVEC ? »

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PHOTO ÉMÉLIE RIVARD-BOUDREAU
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PHOTO COLLABORAT­ION SPÉCIALE ÉMÉLIE RIVARD-BOUDREAU

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