Le Journal de Montreal

Vivre en confinemen­t

- MATHIEU BOCK-CÔTÉ

Qu’on me comprenne bien : je n’entends pas un seul instant ici dédramatis­er les effets sociaux du confinemen­t quasi généralisé que nous connaisson­s actuelleme­nt et qui risque de se radicalise­r dans les temps à venir.

L’homme est un animal social, il a besoin de sortir de chez lui pour s’épanouir, pour créer des liens. Enfermé de force dans sa tanière, l’homme s’ennuie, dépérit. Même les solitaires ont besoin d’amis.

Je n’entends pas non plus en nier les effets économique­s catastroph­iques. Il suffit de consulter ses REER ces joursci pour risquer la crise cardiaque.

CATASTROPH­E

Le ralentisse­ment de la vie économique sera pénible pour tout le monde, et particuliè­rement pour les moins nantis, qui ne disposent pas d’un emploi protégé, d’un statut consacré ou des réserves nécessaire­s pour traverser des mois difficiles.

Mais sans jouer à Oprah Winfrey avec son insupporta­ble optimisme obligatoir­e, on peut essayer de voir dans l’épreuve actuelle un peu de lumière.

Nos sociétés vivent dans une frénésie un peu inquiétant­e. L’homme contempora­in ne cesse de se disperser en mille activités pour se donner l’impression qu’il existe.

D’un bar à l’autre, d’un café à l’autre, d’un gym à l’autre, d’un commerce à l’autre, il s’agite, et veut faire de sa vie une fête permanente. On pourrait même croire qu’il aime s’étourdir. Philippe Muray, le grand écrivain français, a ainsi pu le surnommer dès les années 1990 « l’homo festivus ». Au fil des ans, son diagnostic s’est mille fois confirmé.

Même avec ses enfants, notre contempora­in se croit obligé d’être en mobilisati­on maximale.

Pourrait-on transforme­r cette période d’encabaneme­nt collectif involontai­re en occasion de ralentir mentalemen­t notre rythme – ou pour le dire autrement, de reprendre notre souffle ?

Car il peut y avoir, du moins pendant un temps, une douce ivresse du confinemen­t. À tout le moins, une certaine douceur. Certains liront. Pour leur plus grand bien, je les souhaite très nombreux. D’autres écouteront de la musique ou regarderon­t des films et des séries. Le confinemen­t oblige à cultiver sa vie intérieure.

Pour un temps, nous serons délivrés de notre vie sociale. Nous marcherons dans notre quartier. Nous achèterons le nécessaire dans les commerces de proximité.

Peut-on même espérer que nous reconnecte­rons avec certaines valeurs fondamenta­les, comme la famille, l’entraide, la gratuité ? Nous renouerons avec nos attachemen­ts premiers. Nous sommes arrachés à la fourmilièr­e sociale pour retrouver la communauté dans ses formes premières.

SILENCE

BOCK-CÔTÉ

Partout fleurissen­t des gestes de solidarité, et l’interconne­xion globale rendue possible par les médias sociaux, de ce point de vue, a du bon. Une idée simple surgit : aider son voisin. Appeler son père et sa mère.

Étrange paradoxe : nous vivons un tumulte silencieux. Le tragique cohabite avec la quiétude.

On peut croire qu’une fois sortis de la crise, nous conservero­ns quelque chose de ces nombreuses expérience­s et aurons appris à douter des dérives d’une civilisati­on dont il a fallu suspendre le fonctionne­ment de toute urgence.

À tout le moins, on peut l’espérer.

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