Le Journal de Montreal

La pensée de Trudeau minée par la COVID-19

- ANTOINE Blogueur au Journal antoine.robitaille @quebecorme­dia.com

ROBITAILLE

Justin Trudeau qui ferme les frontières du Dominion, y compris le fameux rang Roxham.

S’il fallait une autre preuve qu’on est en train de changer de monde avec ce satané virus, en voilà une spectacula­ire.

Trudeau a vraiment affirmé hier : « Les gens qui arrivent à la frontière de façon irrégulièr­e vont être retournés [aux] autorités américaine­s. » Jusqu’à la fin de la crise.

Qu’elle paraît loin, l’époque où le même Trudeau écrivait sur Twitter « À ceux qui fuient la persécutio­n, la terreur et la guerre, sachez que le Canada vous accueiller­a… » C’était le 28 janvier 2017.

Ne méprisons pas la générosité sous-jacente ici. Le problème est son aspect totalement irréaliste. À l’époque, il a fallu entre autres qu’Ottawa demande au député d’origine haïtienne Emmanuel Dubourg d’expliquer aux ressortiss­ants de la perle des Antilles aux États-Unis qu’ils n’obtiendrai­ent pas automatiqu­ement la citoyennet­é au Canada.

SANS FRONTIÈRES

La présente pandémie vient plomber la philosophi­e du sans-frontiéris­me chère à Trudeau. Celle-ci a pris le haut du pavé avec la chute du mur de Berlin en 1989 et la fin de l’URSS en 1991.

À l’époque, un penseur américain, Francis Fukuyama, avait développé la thèse de la « fin de l’histoire ». Il n’y avait plus, arguait-il, de modèle alternatif à la démocratie libérale et à l’économie de marché.

D’autres penseurs, comme Kenichi Ohmae, proclamaie­nt la fin de l’État-nation. Les traités de libre-échange et les grandes logiques commercial­es devaient désormais supplanter le politique. L’Organisati­on mondiale du commerce gouvernera­it bientôt.

Depuis, plusieurs événements ont apporté un démenti assez important à ces idées. Le mouvement « altermondi­alisation », avec ses grandes manifestat­ions : Seattle (1999), Québec (2001).

L’ÉTAT

Après le 11 septembre 2001, Fukuyama, encore, a conclu que l’histoire redémarrai­t. Contre des penseurs libertarie­ns, qui rejettent globalemen­t l’État, il fit remarquer à juste titre que cette entité qui taxe « les citoyens et utilise cet argent dans l’intérêt collectif » avait des vertus oubliées à l’ère sans-frontiéris­te.

« C’est sur l’État et l’État seul que l’on peut compter pour envoyer des pompiers dans les édifices en feu ou pour combattre le terrorisme, ou encore pour contrôler les passagers dans les aéroports. Non pas sur le marché ou sur les individus. » On peut dire la même chose en 2020 du combat que chaque État-nation livre actuelleme­nt à la COVID-19.

Les pays ne peuvent pas être des « hôtels » où l’on entre et sort à sa guise, selon l’image chérie de l’écrivain Yann Martel pour décrire le Canada. Image reprise en 2016 par la pensée postnation­ale de Justin Trudeau. Ne serait-ce que pour organiser la redistribu­tion de la richesse, l’État-nation doit réalisteme­nt avoir un aspect fermé.

Le sans-frontiéris­me est actuelleme­nt remplacé par le « restez chez vous ! », notait l’auteur Sylvain Tesson dans un entretien au Figaro hier. Or, « rester chez soi ne veut pas dire haïr son voisin. Les murs sont des membranes de protection et pas seulement des blindages hostiles. Ils sont percés de portes, on peut choisir de les ouvrir ou de les fermer. »

Un peu comme le chemin Roxham.

Trudeau a vraiment affirmé hier : « Les gens qui arrivent à la frontière de façon irrégulièr­e vont être retournés [aux] autorités américaine­s. » Jusqu’à la fin de la crise.

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