Virus et pétrole, un cocktail ravageur
Impossible d’imaginer, même vaguement, l’impact perturbateur que le coronavirus aura sur nos sociétés : trop tôt, trop vaste, trop intense. Il se prépare toutefois une de ces secousses qui bouleversera la géopolitique mondiale. Les « Pétro-États » se préparent à en baver un coup.
L’impact de la crise du coronavirus prend déjà une multitude de formes. Une d’entre elles est assez claire : avec les interdictions de vol, les fermetures de frontières et le confinement à résidence, la soif de pétrole dont la planète souffre est enfin étanchée.
On produit amplement pour le peu qu’on consomme.
Il y a une dizaine de jours à peine l’Agence américaine d’information sur l’énergie entrevoyait pour 2020 une légère hausse de la consommation mondiale de pétrole : 370 000 barils de plus par jour. Moins confiante, l’Agence internationale de l’énergie anticipait plutôt un recul de la demande : 90 000 barils de moins par jour.
La COVID-19 les aura fait mentir toutes les deux. Les dernières prévisions avancent un effondrement de la demande de 10 millions de barils (!), une chute de 10 % de la consommation quotidienne mondiale de pétrole.
De quoi, en temps normal, violemment chambarder les budgets des États producteurs. Sauf que ce n’est pas tout.
UNE CHICANE DE GÉANTS
L’Arabie saoudite et la Russie (2e et 3e producteurs mondiaux de pétrole derrière les États-Unis) se sont engagés, au même moment, dans une guerre d’usure. Une sorte de lutte sans merci pour arracher à l’autre des parts de marché. Conséquence : ils inondent, chaque jour, ce fameux marché déjà gorgé avec trois millions de barils de pétrole à prix réduit.
C’est devenu la grande interrogation des analystes : lequel des deux géants finira par céder le premier ?
On pourrait croire, à première vue, que les Saoudiens, en raison d’un coût d’extraction peu élevé, pourront résister plus longtemps. Leur problème toutefois, c’est qu’avec un secteur public totalement dépendant des revenus du pétrole, il leur faut un prix du baril élevé.
Les Russes, de leur côté, produisent pour plus cher, mais peuvent se permettre de réduire les revenus qu’en tire l’État, grâce à 650 milliards de dollars de réserves financières. On peut avoir des doutes, mais Moscou soutient qu’il pourrait tenir le coup, avec un baril à prix réduit, « pendant six à dix ans ». C’est long !
UN EFFET « BOULE DE DÉMOLITION »
Entre-temps, les dommages collatéraux vont s’accumuler. Les revenus du pétrole, dans plusieurs pays producteurs, perpétuent une corruption endémique, attisent les rivalités, nourrissent les conflits.
C’est notamment le cas en Libye et au Soudan du Sud. Des régimes autoritaires sont parvenus à se maintenir en place en achetant la paix intérieure : l’Iran, l’Algérie, le Venezuela en font partie.
L’Angola, endetté jusqu’au cou, et le Nigeria – qui n’exporte pratiquement rien d’autre que du pétrole brut – vont profondément souffrir d’un baril de pétrole à vingt dollars… et peut-être moins encore.
L’industrie du schiste aux ÉtatsUnis va aussi en pâtir. On s’attend à un enchaînement de faillites et, déjà, c’est par milliers que les mises à pied ont été annoncées au Texas et dans le Nouveau-Mexique. Rien de très encourageant pour Donald Trump, mais il n’y perd pas tout.
Le brut à rabais, c’est le gallon d’essence pour pas cher.
Des politologues ont déjà calculé qu’une hausse de cinquante cents du gallon d’essence entraînait une baisse de 3,5 points dans l’approbation du président. Verra-t-on l’effet inverse pour Donald Trump avec l’essence toujours plus abordable ? Possible.
Sauf qu’avec les quarantaines et les confinements, ils sont de plus en plus rares les endroits où on peut aller se balader en sécurité.