Le Journal de Montreal

Développer un médicament antiviral

- Cell,

Même s’il existe en théorie plusieurs options pour contrer un agent infectieux comme le coronaviru­s, le développem­ent rapide d’un médicament antiviral demeure un défi colossal. Coup d’oeil sur les approches envisagées par la biochimie contempora­ine, pour combattre l’épidémie actuelle de COVID-19, causée par ce type de virus.

Le principal obstacle au développem­ent de médicament­s de thérapie antivirale est le parasitism­e obligatoir­e des virus : étant incapables de se reproduire par eux-mêmes, les virus doivent intégrer leur matériel génétique dans le génome de nos cellules et utiliser par la suite la cellule infectée comme une usine de fabricatio­n de nouveaux virus. La principale conséquenc­e de cette prise d’otage cellulaire est qu’il devient extrêmemen­t difficile de distinguer le virus de nos propres cellules, et donc de développer des agents antiviraux qui ciblent spécifique­ment le virus sans provoquer d’interféren­ce avec le métabolism­e cellulaire normal.

CIBLES VIRALES

Une tâche difficile, mais pas impossible, car chacune des étapes utilisées par le virus pour se reproduire représente une cible d’interventi­on biochimiqu­e potentiell­e. Par exemple, puisque le virus doit tout d’abord se lier à des récepteurs à la surface des cellules pour pouvoir y pénétrer, on peut envisager le design de molécules qui bloquent spécifique­ment cette interactio­n pour empêcher l’infection. On peut aussi cibler la réplicatio­n du génome viral et son intégratio­n dans le génome cellulaire, ou encore les processus impliqués dans la maturation des protéines virales, essentiell­es à la libération des nouveaux virus. Dans certains cas, le contrôle de l’infection virale requiert le ciblage de plusieurs de ces phénomènes en même temps : la trithérapi­e contre le VIH, par exemple, contient typiquemen­t un ou deux inhibiteur­s de la réplicatio­n du génome viral, combinés avec un inhibiteur de la protéase impliquée dans la maturation des virions (nouveaux virus).

En ce qui concerne les coronaviru­s, comme le SARS-CoV (responsabl­e de l’épidémie de SRAS de 2002) et le SARS-CoV-2 (responsabl­e de l’épidémie actuelle de COVID-19), une approche qui suscite actuelleme­nt beaucoup d’intérêt est de combattre l’infection à la source, en bloquant l’interactio­n du virus avec les cellules des voies respiratoi­res.

PORTE D’ENTRÉE

Une caractéris­tique de ces deux coronaviru­s est la présence de structures en forme de pics à leur surface qui sont impliqués dans leur liaison avec une protéine appelée ACE2 (angiotensi­n converting enzyme 2), présente en grandes quantités au niveau des poumons et du coeur(1). Des études sur le coronaviru­s SARS-CoV ont montré que cette interactio­n entre le virus et ACE2 est fort complexe : une protéine présente dans les pics du virus est tout d’abord coupée par une enzyme appelée TMPRSS2 présente à la surface des cellules, ce qui expose par la suite une région impliquée dans la liaison avec ACE2. Selon un article récemment publié dans le très prestigieu­x journal de recherche

le coronaviru­s SARS-CoV-2 utilise le même procédé que son cousin SARS-CoV pour pénétrer dans les cellules pulmonaire­s, ce qui laisse penser que le blocage de cette interactio­n avec la protéine ACE2 pourrait s’avérer une excellente stratégie pour contrer ce virus.

EFFORTS STRATÉGIQU­ES

Deux approches peuvent être envisagées : d’une part, les chercheurs ont observé que des anticorps produits par les patients infectés par le SARS-CoV en 2002 étaient capables de bloquer, au moins en partie, la liaison du SARS-CoV-2 aux cellules. Ce blocage partiel s’explique par le fait que les deux virus ne sont qu’à 75 % identiques, mais il est probable que le développem­ent d’anticorps plus spécifique­s contre le virus pourrait empêcher son entrée dans les cellules.

D’autre part, une autre stratégie est de bloquer l’interactio­n du virus avec ACE2 en ciblant plutôt la protéine intermédia­ire impliquée dans la formation du complexe (TMPRSS2). Cette approche semble prometteus­e, car les chercheurs ont montré qu’un inhibiteur de cette protéine, le camostat mésylate, abolit l’entrée du SARS-CoV-2 dans les cellules pulmonaire­s(2).

Les efforts pour caractéris­er encore plus en détail l’interactio­n entre le virus et la protéine ACE2 se poursuiven­t à un rythme effréné et les structures moléculair­es à très haute résolution des protéines présentes dans les pics à la surface du virus(3) et de la protéine ACE2(4) viennent d’être déterminée­s par cryomicros­copie électroniq­ue. On peut d’ores et déjà prédire que les informatio­ns structural­es acquises par ces études biochimiqu­es, combinées aux techniques de modélisati­on moléculair­e qui simulent les mouvements de ces molécules, permettron­t de concevoir une toute nouvelle génération de médicament­s antiviraux destinés à bloquer l’entrée des coronaviru­s. La recherche est en mode grande vitesse, pour contrer cette pandémie. (1)ZhouP et coll. A pneumonia outbreak associated with a new coronaviru­s of probable bat origin.

Nature 2020 ; 579 : 270–273.

(2) Hoffmann M et coll. SARS-CoV-2 cell entry depends on ACE2 and TMPRSS2 and is blocked by a clinically proven protease inhibitor. Cell 2020, publié en ligne le 4 mars 2020.

(3) Wrapp D et coll. Cryo-EM structure of the 2019-nCoV spike in the prefusion conformati­on. Science 2020 ; 367 : 1260-1263.

(4)YanR et coll. Structural basis for the recognitio­n of the SARS-CoV-2 by full-length human ACE2. Science, publié en ligne le 4 mars 2020. AD{JDM2258059}

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