Le Journal de Montreal

Traités comme du bétail

- JOSÉE LEGAULT

Dans plusieurs CHSLD et résidences privées pour aînés, l’urgence sanitaire est passée au stade alarmant d’urgence humanitair­e. Les morts s’y multiplien­t.

Au Québec, en 2020, dans une société riche et avancée, on soulève même la question d’une possible interventi­on de l’armée pour prêter main-forte aux préposés et au personnel médical, dont les rangs se déciment à vue d’oeil.

La COVID-19 frappe plus fort chez les personnes de plus de 70 ans. La réalité est cependant qu’elle frappe surtout celles vivant en résidence ou en CHSLD.

Là où résident aussi, rappelons-le, des adultes de moins de 65 ans, handicapés intellectu­els ou physiques.

À la santé fragile, ces grands oubliés craignent tout autant d’être emportés.

Là-dessus, je persiste et signe depuis longtemps : il faut repenser dans son entièreté la manière dont on prend soin et héberge les plus vulnérable­s.

L’échec de l’ensemble de l’oeuvre nous crève d’autant plus les yeux en plein tsunami de la COVID-19, mais on en connaissai­t l’ampleur bien avant.

DÉSHUMANIS­ANTE

Disons-le clairement. À l’origine des très mauvais choix faits par des gouverneme­nts précédents – privatisat­ion des services et ressources d’hébergemen­t, compressio­ns dans les services sociaux, hypercentr­alisation du réseau de la santé, etc. – se cache une vision foncièreme­nt déshumanis­ante de la grande vulnérabil­ité. Celle des aînés en perte d’autonomie et des personnes handicapée­s.

Dans l’immense « machine » du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) et de ses méga-CIUSSS, cette même vision imprègne encore ses « processus décisionne­ls ». La ministre Danielle McCann aura beaucoup à faire pour casser ce moule toxique.

À preuve, le manque criant de préparatio­n des CHSLD et résidences privées pour personnes vulnérable­s face à la COVID-19. Mais aussi, cette décision initiale ahurissant­e de vider de nombreux lits d’hôpital par l’envoi en CHSLD d’aînés fragiles, même s’ils s’annonçaien­t comme des milieux d’éclosion.

On l’a fait au cas où la vague frapperait plus fort dans la population générale.

Or, sur ces « lits », il y avait des personnes humaines.

On les a néanmoins « déménagées » comme des meubles ou du bétail.

Aussi pour libérer des « lits », dans les premiers temps de la crise, le MSSS a tenté d’imposer de possibles déplacemen­ts de personnes déficiente­s intellectu­elles.

Dans leur cas, on les aurait retirées des CHSLD où elles vivent pour les envoyer dans des ressources intermédia­ires privées, malgré le risque évident de contagion.

COLÈRE JUSTIFIÉE

Ce lundi, à la une du Journal ,la colère justifiée de Daniel Rouleau, dont la mère de 80 ans, Lise Giroux ,est morte de la COVID-19 en CHSLD après avoir été transférée de l’hôpital pour y « libérer des lits », résumait tout : « Elle

a été sacrifiée. C’est une question de principe, on n’envoie pas les gens à l’abattoir ».

Déplacer ou placer des personnes très vulnérable­s sans égard pour elles et leurs familles, quelles qu’en soient les raisons, témoigne d’une culture organisati­onnelle tordue.

Contraire au respect le plus élémentair­e du droit à la vie et à la dignité, elle doit être cassée. Point.

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Sur ces lits d’hôpital vidés brusquemen­t, il y avait des personnes humaines. On les a néanmoins « déménagées » comme des meubles ou du bétail.
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