Le Journal de Montreal

CHUCK, ALI ET PHILIPPE FALARDEAU

Ça prenait une pandémie et un appel de Simon René pour que je découvre enfin Chuck, le film de Philippe Falardeau.

- RÉJEAN TREMBLAY rejean.tremblay@quebecorme­dia.com

Un film américain sorti en 2017 aux États-Unis, mettant en vedette Liev Schreiber, Chuck raconte l’histoire de Chuck Wepner, un des quatre boxeurs au monde à avoir expédié Muhammad Ali sur son cul.

Chuck est bien plus le film d’un boxeur qu’un film de boxe.

Mais le célèbre combat disputé entre Wepner et Ali en mars 1975 à Cleveland est quand même le pivot du film. C’est ce combat qui a façonné la légende de Chuck Wepner. C’est ce combat qui a inspiré Sylvester Stallone à écrire le scénario de Rocky. Quand on s’installe confortabl­ement pour regarder le film (sur iTunes) et qu’en plus, on va aux sources du film en discutant longuement avec Philippe Falardeau, on s’offre un voyage fascinant dans l’univers de la boxe… et du cinéma américain.

UN SCÉNARIO DE HOLLYWOOD

« Après Monsieur Lazhar, mon film mis en nomination pour un Oscar, je m’étais pris un agent à Los Angeles », raconte Falardeau.

« Il m’envoyait des scénarios susceptibl­es de m’intéresser. Quand j’ai lu The Bleeder, le titre de travail du scénario, je me suis dit : ‘‘Ben voyons donc’’. C’était l’histoire de Chuck Wepner, l’histoire d’un personnage narcissiqu­e, l’histoire d’un homme qui avait connu un extraordin­aire 15 minutes de gloire, l’histoire d’un exploit humain de quelqu’un pas toujours héroïque. Mais tout le scénario transpirai­t le bon fond de Chuck », d’expliquer Falardeau.

Le projet traînait comme d’autres d’un producteur à l’autre. Puis, un jour, Falardeau a pu y aller de son « pitch de vente » au téléphone avec Michael Tolin, le producteur qui détenait les droits. Il a été convaincan­t puisque la grosse machine s’est mise en marche.

« On ne pouvait trop tarder puisque Liev Schreiber, la vedette pressentie du film, allait bientôt avoir 50 ans et que Wepner avait affronté Ali à 35 ans. Fallait encore travailler sur le scénario, s’assurer de rendre Chuck sympathiqu­e en faisant sortir son côté enfant, en montrant son désir insatiable d’être aimé », de raconter le réalisateu­r.

LE BOUCHER DE BAYONNE

Le film raconte le parcours de ce boxeur courageux, mais pas de très haut niveau. Il avait obtenu une chance d’affronter Ali après sa victoire contre George Foreman au Zaïre parce que l’entourage d’Ali voulait donner une chance « à un Blanc » de se battre contre le champion.

Au neuvième round, un direct au coeur de Wepner envoie Ali au plancher. De toute évidence, Ali est tombé parce que Wepner avait son pied sur celui d’Ali quand il a reçu le coup. Mais le peuple s’en est moqué. Wepner, le gros saignant de Bayonne au New Jersey, avait envoyé le grand Ali sur le cul. Try to beat that !

Falardeau a vu le film du combat réel au point de le connaître par coeur.

« Après être allé au tapis, Ali était en colère. Il voulait passer le knock-out à Wepner. Qu’il ait résisté jusqu’au

quinzième round relève du grand exploit », de dire Falardeau.

Dans la vraie vie, après avoir envoyé Ali au plancher, Wepner a lancé aux hommes de coin : « Ça y est, on va être tous millionnai­res. » Et un de ses soigneurs de répondre : « Tu devrais te retourner pour voir Ali, y est en ta…(He’s pissed off ! )»

UN ACTEUR IMPLIQUÉ

C’est un trio de Québécois qui a dirigé le film. Falardeau à la réalisatio­n, Nicolas Bolduc à la caméra et Richard Comeau au montage. Mais Liev Schreiber, scénariste et vedette principale de Chuck, a été un formidable compagnon.

« Liev apportait la touche finale au scénario. Il avait adopté un lourd accent du New Jersey et je lui laissais toute latitude pour la mise en bouche des répliques. Même chose pour la Britanniqu­e Naomi Watts, qui avait trouvé l’accent parfait du New Jersey. Le fait de ne pas avoir écrit le scénario du film me libérait en fait. Parfois, quand tu réalises ton propre scénario, tu réalises que la scène ne fonctionne pas au tournage et tu te retrouves tout seul avec ton texte à tenter de le faire marcher », de dire en souriant Falardeau.

Le tournage s’est bien passé. Le faux nez de Schreiber tenait le coup et les costumes 1975 des personnage­s et des figurants donnent parfaiteme­nt le change. Même un chroniqueu­r de sports qui a vu le combat de Wepner contre Muhammad Ali et le documentai­re tourné par Talin, Le vrai Rocky, se laisse envahir par les accents, les costumes et un éclairage qui illumine autant les paysages que les décors plus sombres des bars et des gymnases.

LE COMBAT TOURNÉ EN BULGARIE

Et le fameux combat, parlons-en du fameux combat.

– Tourné à Cleveland, je suppose ? – Pas du tout. Tourné à Sofia en Bulgarie…

C’est la magie du cinéma… et des budgets de tournage.

« Ça coûtait moins cher de déplacer une légère équipe de tournage en Bulgarie, où la compagnie de production avait déjà des studios. Sauf que mes figurants avaient l’air slaves et que je ne trouvais pas de Noirs pour mon ringside. À Cleveland, il y avait de nombreux Noirs au combat et je pense qu’à Sofia, il n’y avait pas 30 Noirs dans toute la ville. Ceux que j’avais trouvés, je les installais dans le champ de la caméra et je les déplaçais selon les plans. Ç’a fait la job. Mais ça n’aurait pas marché si Liev Schreiber n’avait pas accepté de s’impliquer autant et de prendre les coups pour vrai », raconte Falardeau.

« Dans les films de boxe, c’est rarement crédible parce que les coups ne touchent pas les acteurs. Nous, le poing était dans l’ouverture du gant et le gant était vide et cousu à la paume pour qu’il reste refermé. Sauf que des coups de gants de cuir à la douzaine, ça prend du cran pour les prendre dans le visage. Liev Schreiber a été incroyable. En plus, entre les prises de vue, il s’assoyait pour vérifier le scénario. On a tourné toutes les scènes en une journée et demie. Pour Hollywood, c’est vite », de dire Falardeau.

ET ROCKY BALBOA

Vous savez le reste de l’histoire. Sylvester Stallone, qui crevait de faim à Hollywood en jouant des petits rôles, se lança dans l’écriture de Rocky. Un courageux boxeur blanc qui finit par rencontrer Muhammad Ali…ou Apollo Creed.

Stallone enchaîna les Rocky, puis les Rambo, écrivant, dirigeant et produisant la plupart de ses films en devenant célèbre et multimilli­onnaire au passage alors que Wepner a dû parfois boxer contre des ours pour gagner sa croûte.

La deuxième partie du film raconte la fascinatio­n de Wepner pour Rocky et cette appropriat­ion du personnage de Stallone qui le hante dans sa longue descente aux enfers. C’est poignant et l’acteur qui joue Stallone est très bien dirigé.

« Chuck a 80 ans aujourd’hui et il est encore d’aplomb quand on lui parle. Ce n’est jamais évident de tourner un film quand le personnage est encore vivant. Mais il a aimé la façon dont on a fait les choses. Et il en veut toujours à Sylvester Stallone. Il soutient qu’il a volé son histoire pour écrire

Rocky. Bien honnêtemen­t, le personnage de Rocky, tout introverti, est loin de Chuck, qui lui est très extraverti. Apollo Creed ressemble plus à Ali tant qu’à ça », de dire Falardeau en réfléchiss­ant tout haut…

J’ai donc vu un très bon film avec une histoire touchante… et revu sur YouTube un combat de légende.

Bon p’tit week-end…

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PHOTOS D’ARCHIVES Le combat ayant opposé en 1975 le grand Muhammad Ali et Chuck Wepner a inspiré Philippe Falardeau. Le cinéaste a adoré travailler avec l’acteur Liev Schreiber, criant de vérité dans le film Chuck.
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