Le Journal de Montreal

Vieillir pauvre et malade

- JOSÉE LEGAULT

La catastroph­e de la COVID-19 est un puissant révélateur des nombreuses failles qui grugent notre société dite avancée. Déconnecté du réel, notre rapport social et politique à la « vieillesse », d’autant plus quand elle se fait fragile, trône au sommet de la liste.

L’état lamentable d’impréparat­ion dans plusieurs CHSLD et résidences privées en est la manifestat­ion la plus brutale, mais pas la seule.

Comme la jeunesse, la vieillesse est toutefois multiple. Quand on est déjà pauvre, le risque de vieillir pauvre, malade et seul est élevé.

Quand les revenus sont bons, on vieillit mieux et moins isolé. Les inégalités chez les vieux, c’est aussi bien avant qu’il nous faudrait les combattre beaucoup plus fortement.

Car l’urgence est claire.

Selon l’Institut de la statistiqu­e du Québec, d’ici 2066, la proportion des 65 ans et plus passera de 18 % à 28 % – un bond énorme.

Le Québec est une société vieillissa­nte, mais qui refuse de se l’avouer. Tous les gouverneme­nts ont souffert du même déni.

RÉVOLUTION TRANQUILLE

Avant 1960, on laissait les vieux dans leur maison ou chez leurs enfants.

Ce sont les femmes qui en prenaient soin. Avec la Révolution tranquille, les Québécoise­s ont enfin rejoint le marché du travail, mais le soutien concret de l’État pour garder les personnes les plus vulnérable­s dans leurs familles n’a pas suivi.

Avec le temps, un choix politique s’est opéré. Celui de « placer » les plus vulnérable­s – aînés très fragiles et personnes handicapée­s intellectu­elles ou physiques de tous âges – hors du champ de vision de la société.

On les a désocialis­és, ghettoïsés. On les a rendus invisibles et inaudibles. Ce faisant, la société a cessé de les voir. Loin des yeux, loin du coeur. On les a placés dans de soi-disant « milieux de vie » séparés. Zéro mixité sociale.

Les vieux malades avec les vieux malades. Les handicapés avec les handicapés. Quant à la majorité des aînés capables de rester chez eux, on a laissé leur santé et leur qualité de vie dépendre de leur niveau de revenus et non de leurs besoins.

CHOIX POLITIQUE

Les aînés autonomes nantis vivent avec leurs semblables.

Les plus pauvres avec les leurs. Doré ou modeste, un ghetto demeure un ghetto. Par défaut, ce choix politique est devenu un choix de société.

Il l’est devenu par manque d’options, de soutien à domicile, d’une médecine vraiment préventive et d’une aide soutenue aux proches aidants, encore très majoritair­ement des femmes.

En se délestant de leur rôle de « protecteur », nos gouverneme­nts ont sorti les personnes vulnérable­s, toutes catégories et tous âges confondus, de la vie en société. Ils les ont remisées dans des CHSLD, publics ou privés, dans des ressources d’hébergemen­t privées, etc.

Plus qu’ailleurs au pays, on a surtout fait de la grande vulnérabil­ité un marché privé très lucratif. Maintenant que le déconfinem­ent commence, l’oublierat-on à nouveau ?

Ou poussera-t-on les élus à agir enfin de manière à ce que le « vivre ensemble » se fasse vraiment avec tout le monde ? Y compris les Québécois les plus fragiles ?

J’y reviendrai demain.

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Les gouverneme­nts ont sorti les personnes vulnérable­s de la vie en société.
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