Le Journal de Montreal

Changerons-nous ? (2)

- JOSEPH FACAL joseph.facal@quebecorme­dia.com Le Devoir

Mardi, j’ai évoqué ce que la crise changera peut-être dans nos vies.

Voyons maintenant ce qui ne changera pas, sûr et certain.

Regardez autour de vous : en gros, on respecte les consignes, on s’entraide, on chiale moins que d’habitude.

Certains espèrent une société qui, après la crise, conservera­it un peu de cette solidarité, qui se diviserait moins autour de questions devenues subitement secondaire­s quand on compte les morts.

INÉVITABLE

C’est une vieille utopie d’espérer qu’on surmonte les querelles idéologiqu­es.

En 1960, le sociologue Daniel Bell prédisait l’avènement d’une société consensuel­le qui évoluerait par ajustement­s techniques. Il s’est royalement trompé. En 1992, après l’effondreme­nt de l’empire soviétique,

Francis Fukuyama disait que le triomphe du libéralism­e, désormais seul en piste, signifiait la fin de l’idéologie comme force motrice de l’Histoire.

On se disputerai­t maintenant sur des détails, pas sur des principes fondamenta­ux.

Il s’est royalement trompé. Ce qui ne changera pas, ce sont nos débats habituels autour de la gauche, la droite, la religion, la laïcité, l’immigratio­n, l’environnem­ent, la souveraine­té, la mondialisa­tion, etc.

Chacun prendra dans la crise actuelle ce qui confortera les vues qu’il avait déjà.

La relance nécessiter­a des investisse­ments publics colossaux. Où trouver l’argent ?

À gauche, on dira : dans les paradis fiscaux et chez les grosses compagnies.

À droite, on dira : il faudrait un accord planétaire pour abolir les paradis fiscaux et une compagnie qu’on écoeure trop va déménager.

À gauche, on dira : il faut dépenser sans compter pour aider un maximum de gens.

À droite, on dira : cela rendra les gens dépendants de l’État, surtout s’il est plus payant d’attendre un chèque que d’aller travailler.

Les uns diront qu’il faut soutenir les entreprise­s à coups de milliards.

D’autres diront qu’il ne faut pas soutenir des entreprise­s polluantes, et qu’il faut consacrer ces sommes à décarbonis­er notre économie.

À gauche, on dira : il faut investir des sommes supplément­aires dans le système de santé.

À droite, on dira : voyons, 50 % du budget du Québec va déjà à la santé, c’est dans le privé que se trouve l’oxygène.

Les souveraini­stes diront : ah, si on contrôlait nos frontières !

Les fédéralist­es diront : une chance qu’on a Ottawa quand ça va mal !

Certains diront : avec 17 % de chômage, lâchez-nous avec l’immigratio­n pour combler la pénurie de maind’oeuvre.

En face, on souligne déjà lourdement que beaucoup d’infirmière­s et de préposés sont des immigrants. Une chance qu’on les a !

Dans d’hier, une chronique franchemen­t « covidiote » trouvait contradict­oire le port recommandé du masque… après l’interdicti­on faite à certaines travailleu­ses de se voiler le visage pour des raisons religieuse­s.

Comme s’il n’y avait pas de différence entre un outil de santé publique et un symbole d’inférioris­ation de la femme…

Chacun prendra dans la crise actuelle ce qui confortera les vues qu’il avait déjà.

CONFORT

Pourquoi est-ce que la guerre idéologiqu­e ne mourra pas ?

L’idéologie est un entonnoir pour la pensée, parfois une prison mentale, mais elle rassure parce qu’elle met de l’ordre dans la confusion et donne des réponses toutes faites.

En ce sens, elle joue le même rôle que la religion.

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