Changerons-nous ? (2)
Mardi, j’ai évoqué ce que la crise changera peut-être dans nos vies.
Voyons maintenant ce qui ne changera pas, sûr et certain.
Regardez autour de vous : en gros, on respecte les consignes, on s’entraide, on chiale moins que d’habitude.
Certains espèrent une société qui, après la crise, conserverait un peu de cette solidarité, qui se diviserait moins autour de questions devenues subitement secondaires quand on compte les morts.
INÉVITABLE
C’est une vieille utopie d’espérer qu’on surmonte les querelles idéologiques.
En 1960, le sociologue Daniel Bell prédisait l’avènement d’une société consensuelle qui évoluerait par ajustements techniques. Il s’est royalement trompé. En 1992, après l’effondrement de l’empire soviétique,
Francis Fukuyama disait que le triomphe du libéralisme, désormais seul en piste, signifiait la fin de l’idéologie comme force motrice de l’Histoire.
On se disputerait maintenant sur des détails, pas sur des principes fondamentaux.
Il s’est royalement trompé. Ce qui ne changera pas, ce sont nos débats habituels autour de la gauche, la droite, la religion, la laïcité, l’immigration, l’environnement, la souveraineté, la mondialisation, etc.
Chacun prendra dans la crise actuelle ce qui confortera les vues qu’il avait déjà.
La relance nécessitera des investissements publics colossaux. Où trouver l’argent ?
À gauche, on dira : dans les paradis fiscaux et chez les grosses compagnies.
À droite, on dira : il faudrait un accord planétaire pour abolir les paradis fiscaux et une compagnie qu’on écoeure trop va déménager.
À gauche, on dira : il faut dépenser sans compter pour aider un maximum de gens.
À droite, on dira : cela rendra les gens dépendants de l’État, surtout s’il est plus payant d’attendre un chèque que d’aller travailler.
Les uns diront qu’il faut soutenir les entreprises à coups de milliards.
D’autres diront qu’il ne faut pas soutenir des entreprises polluantes, et qu’il faut consacrer ces sommes à décarboniser notre économie.
À gauche, on dira : il faut investir des sommes supplémentaires dans le système de santé.
À droite, on dira : voyons, 50 % du budget du Québec va déjà à la santé, c’est dans le privé que se trouve l’oxygène.
Les souverainistes diront : ah, si on contrôlait nos frontières !
Les fédéralistes diront : une chance qu’on a Ottawa quand ça va mal !
Certains diront : avec 17 % de chômage, lâchez-nous avec l’immigration pour combler la pénurie de maind’oeuvre.
En face, on souligne déjà lourdement que beaucoup d’infirmières et de préposés sont des immigrants. Une chance qu’on les a !
Dans d’hier, une chronique franchement « covidiote » trouvait contradictoire le port recommandé du masque… après l’interdiction faite à certaines travailleuses de se voiler le visage pour des raisons religieuses.
Comme s’il n’y avait pas de différence entre un outil de santé publique et un symbole d’infériorisation de la femme…
Chacun prendra dans la crise actuelle ce qui confortera les vues qu’il avait déjà.
CONFORT
Pourquoi est-ce que la guerre idéologique ne mourra pas ?
L’idéologie est un entonnoir pour la pensée, parfois une prison mentale, mais elle rassure parce qu’elle met de l’ordre dans la confusion et donne des réponses toutes faites.
En ce sens, elle joue le même rôle que la religion.