L’héritage empoisonné de Trump
Défait ou victorieux aux élections de novembre, le président compliquera l’après-crise du coronavirus
À quoi ressemblera l’après-crise ? Au coeur d’une pandémie mondiale, c’est la question que tous se posent. Aux États-Unis s’en ajoute une autre : À quoi ressemblera l’après-Trump ?
Si Trump demeure en poste jusqu’en 2024, il suffit de voir ce qu’il a fait à ce jour pour anticiper l’état pitoyable dans lequel il laisserait les institutions et les valeurs démocratiques de son pays : autoritarisme, purges, vengeance, politisation à outrance de la justice, népotisme, corruption, xénophobie. Sans parler d’un leadership international complètement bousillé.
Même dans le scénario optimiste où l’après-pandémie coïnciderait avec l’après-Trump, les perspectives ne sont pas tout à fait réjouissantes.
Le « calme » qui pourrait suivre ces deux tempêtes simultanées sera bien relatif.
UN CLIMAT POLITIQUE TENACE
Il y a une différence entre la météo du jour et le climat. La tempête de Trump passera, mais le climat politique qui l’a rendue possible ne se dissipera pas de sitôt.
La polarisation, les changements démographiques, le ressentiment des laissés pour compte de la mondialisation et de ceux qui sont bloqués dans la file d’attente pour le rêve américain, l’environnement culturel et médiatique corrosif qui alimente le cynisme et fait primer la confrontation sur l’intérêt commun, un système électoral vétuste et gangréné par l’argent : tous ces éléments abordés dans cette série d’articles seront encore présents quand Donald Trump quittera la Maison-Blanche… de gré ou de force.
Et la pandémie rendra les défis de son successeur encore plus redoutables.
TRACES PROFONDES DE LA PANDÉMIE
L’économie américaine est en lambeaux. Le chômage atteint des niveaux jamais vus depuis la Grande Dépression, les entreprises tombent comme des mouches, la dette fédérale atteint des montants inimaginables. Et ce n’est pas fini.
Il faut avoir des lentilles roses greffées aux yeux pour croire sur parole ceux qui promettent des lendemains économiques spectaculaires dès l’automne.
Même si des traitements et des vaccins sont disponibles avant la fin de l’année, l’économie américaine devra traverser une longue et difficile reconstruction.
Les pressions xénophobes, isolationnistes et protectionnistes qui ont favorisé l’ascension de Trump seront renforcées par la pandémie. En plus du mauvais souvenir laissé par l’abdication du leadership américain, ces pressions compliqueront la réouverture de l’économie mondiale.
Certaines crises ont des effets régénérateurs. La Grande Dépression a engendré les réformes socioéconomiques du
en plus de forcer l’émergence du leadership économique international des États-Unis.
Il est toutefois improbable que la crise actuelle ait le même genre d’effets progressistes dans un contexte marqué par l’héritage de Donald Trump.
Non, l’actuel président ne quittera pas la scène tranquillement s’il est déchu, comme l’avait fait Richard Nixon. S’il est défait, par compulsion et par appât du gain, Donald Trump cherchera à monopoliser l’espace médiatique. Vous n’en pouvez plus de Fox News ? Attendez de voir « Trump News ».
EXTRÊME DROITE ÉMERGENTE
Le Parti républicain fera face à un dilemme cornélien.
S’il cède aux trumpistes, il perdra ses chances de reconquérir un électorat qui ressemblera de moins en moins à celui qui a porté Trump au pouvoir. Si le parti rejette l’héritage de Trump, l’émergence d’une alternative partisane d’extrême droite est une réelle possibilité.
En 2009, les républicains n’avaient reculé devant rien pour s’opposer aux politiques de relance, dans l’espoir de limiter Barack Obama à un seul mandat.
Si les républicains du Congrès écopent d’une défaite de Trump, ceux qui resteront en place seront les plus extrêmes. Ces héritiers de Trump ne se gêneront pas pour faire le même coup à Joe Biden après la pandémie.
UN PEUPLE RÉSILIENT
J’étonnerai sans doute plusieurs des lecteurs qui m’accompagnent depuis samedi en concluant aujourd’hui sur une note optimiste malgré tout.
Les Américains ont toujours surmonté les grandes crises avec résilience. Ils sont capables du pire, mais aussi du meilleur. Comme le dit un mot d’esprit attribué à Churchill, ils finissent toujours par faire la bonne chose… après avoir épuisé toutes les alternatives.
Les États-Unis sortiront de cette crise, mais il leur faudra du temps pour en être renforcés.
Chez nous aussi, ce sera un énorme défi de sortir de cette pandémie dévastatrice et d’en tirer les leçons qui s’imposent.
Comme nous sommes largement tributaires de la prospérité et du leadership des États-Unis, notre succès dépendra pour une bonne partie de leur succès.