Le Journal de Montreal

Les destructeu­rs de statues

- MATHIEU BOCK-CÔTÉ mathieu.bock-cote@quebecorme­dia.com

Il faut se tenir loin de l’anachronis­me

Allons-y d’abord d’une brève énumératio­n. Charles de Gaulle, Winston Churchill, Victor Schoelcher, Christophe Colomb, Jules César : qu’ont en commun ces hommes (et bien d’autres) ?

Depuis quelques semaines, ils ont vu leur statue renversée ou vandalisée. Pourquoi ? Parce qu’on les accuse, d’une manière ou d’une autre, d’avoir versé dans le racisme. C’est désormais le seul critère à partir duquel on se penche sur leur action historique.

Le jugement est final, la sanction est définitive, il faut les débouter, les chasser de l’espace public.

Il vaudrait la peine de revenir sur chacun d’entre eux.

VANDALISME

De Gaulle a incarné, dès le 18 juin 1940, la résistance au nazisme et à la barbarie hitlérienn­e, au nom de la dignité de l’être humain et de l’indépendan­ce de la France. Cela ne suffit manifestem­ent pas à en faire un héros.

Churchill a tenu tête au nazisme alors que plusieurs voulaient capituler devant lui. Si l’histoire a retenu son nom, c’est pour cela. Il avait les préjugés de son temps. Mais sur le fond des choses, au moment de la grande épreuve, il a su identifier la bête, et la combattre.

Victor Schoelcher est l’homme qui a aboli l’esclavage dans les colonies françaises. Mais apparemmen­t, cela ne suffit pas pour passer le test de la postérité.

Christophe Colomb est le découvreur de l’Amérique. Il incarne l’intrépidit­é d’une civilisati­on qui partait à la conquête du monde. Ce n’était pas un saint, mais il va de soi que lorsqu’on le célèbre, c’est l’esprit des grandes découverte­s que l’on chante. À moins qu’on ne criminalis­e les origines mêmes de l’expansion européenne, on ne saurait le liquider.

Quand nous arrivons à Jules César, cela devient tout simplement loufoque.

À travers cela, nous assistons à une montée de la haine de soi. Il ne faut pas sous-estimer les effets de la déculturat­ion historique. Certains militants ne voient plus l’histoire qu’à travers des catégories moralisatr­ices. Ils plaquent sur le passé de l’humanité les catégories du présent et versent dans l’anachronis­me.

Lorsque les connaissan­ces historique­s disparaiss­ent, et lorsque la capacité de distinguer les époques s’efface, on devient aisément victime de toutes les manipulati­ons idéologiqu­es. L’histoire devient incompréhe­nsible dans sa complexité.

PERSPECTIV­E TERRIFIANT­E

Les déboulonne­urs oublient que toutes les civilisati­ons ont pratiqué d’une manière ou d’une autre l’esclavage. Ce qui distingue la civilisati­on occidental­e, c’est de l’avoir aboli.

Désormais, on nous invite à réduire l’histoire humaine à une guerre des races. Cette perspectiv­e terrifiant­e prépare un monde invivable.

C’est un vaste mouvement de censure qui se déploie. Comme s’il fallait effacer les traces de l’histoire en repartant à zéro. De ce point de vue, le soulèvemen­t des dernières semaines a une dimension révolution­naire dans le mauvais sens du terme.

Il y a dans tout cela un côté talibanesq­ue. Car les islamistes ont tendance à détruire tous les symboles qui n’entrent pas exactement dans leur vision du monde.

En attaquant les statues, en les vandalisan­t, c’est la mémoire des génération­s passées qu’on veut humilier en les réduisant à leur part la plus sombre.

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Charles de Gaulle a été vandalisée lundi.
La statue de Charles de Gaulle a été vandalisée lundi.
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