Le Journal de Montreal

La Saint-Jean survoltée de 1990

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Beaucoup de détails entourant l’épopée de Meech ont été oubliés.

Mais certaineme­nt pas la puissante phrase de Robert Bourassa du 22 juin 1990, laquelle exprimait toute la déception d’une majorité de Québécois face au rejet de l’entente.

« Le Canada anglais doit comprendre d’une façon très claire que, quoi qu’on dise et quoi qu’on fasse, le Québec est, aujourd’hui et pour toujours, une société distincte, libre et capable d’assumer son destin et son développem­ent. »

Habituelle­ment calculateu­r, le chef libéral s’était, au moment clé, montré émotif, sans compter que sa déclaratio­n ouvrait la porte à l’idée de rupture.

DANS LA PISCINE

Plus tôt ce jour-là, Robert Bourassa se rendait faire des longueurs quotidienn­es dans une piscine près de l’Assemblée nationale quand son chef de cabinet, John Parisella, l’arrête.

Il lui précise qu’au sein de ses conseiller­s, il y a un « consensus selon lequel il lui fallait “déclarer” la société distincte », notion clé de Meech.

Bourassa approuve et confie avoir déjà une idée de ce qu’il dira.

« C’est à côté de la piscine qu’il l’a rédigée », raconte John Parisella.

Une heure avant de rentrer au Salon bleu et prononcer son discours, il lit la phrase à son conseiller Jean-Claude Rivest : « J’avais trouvé ça très bon, sans plus. Je n’avais pas perçu qu’elle aurait cet écho-là ! » se souvient-il.

Or, le discours est télévisé. Aussi étrange que cela puisse paraître à notre époque, depuis des semaines, les négociatio­ns constituti­onnelles faisaient la manchette.

On était au faîte d’un crescendo, au dénouement d’une intrigue nationale.

Les mots de Bourassa résonnent à travers le Québec et dans le reste du Canada.

Au Salon bleu, le chef de l’opposition, Jacques Parizeau, n’en revient pas.

Désignant son vis-à-vis par les mots « mon premier ministre », il dit à l’assemblée : « Il faut que nous puissions trouver une autre voie puisque celle qu’il avait choisie se révèle être un cul-de-sac ».

Puis il se rend de l’autre côté de la Chambre et serre la main à Robert Bourassa.

Les souveraini­stes exultent. Ont l’impression que le chef du Parti libéral vient de changer de camp.

TRADITIONS

Nous sommes le 22 juin au soir. Le lendemain, c’est veille de fête nationale au Québec.

Dans les derniers mois, le retour du sentiment national avait poussé les organisate­urs de la « Saint-Jean » à vouloir renouer avec d’anciennes traditions : celle des grands spectacles patriotiqu­es et du défilé.

À Montréal, il n’y a pas eu de défilé depuis celui du 24 juin 1968, veille d’élection fédérale où Pierre Elliott Trudeau avait nargué la foule et où une violente émeute avait éclaté.

En 1990, un premier spectacle a lieu à Québec sur les plaines d’Abraham, le 23 au soir. Le lendemain à Montréal, la pluie force le report des célébratio­ns, mais des défilés spontanés s’organisent.

Le 25, il fait un temps radieux et une foule, évaluée entre 250 000 et 500 000 marcheurs, prend d’assaut les rues de Montréal et arbore des t-shirts à l’effigie du OUI de 1980.

Jacques Parizeau et Lucien Bouchard ouvrent la voie sous une grande banderole « Notre vrai pays, c’est le Québec ».

Selon certains, Robert Bourassa qui, de l’édifice d’Hydro-Québec, rue Sherbrooke (où il avait ses bureaux), regarde la mer de drapeaux bleus, fut tenté d’aller les rejoindre.

Mais il renonça. « Robert était cérébral », insiste Rivest, qui certifie que jamais, malgré les apparences, son patron n’a vraiment été tenté de lancer le processus vers la souveraine­té.

« Mais il ne voulait en rien diminuer la liberté de choix du Québec, pour l’avenir. »

LE CHOIX EST CLAIR

Le soir du 25 juin toutefois, pour plusieurs Québécois, dont une masse de fédéralist­es, le choix est clair.

C’est Jean Duceppe, père de Gilles, qui l’exprime dans son discours patriotiqu­e, en prologue au spectacle de la Saint-Jean intitulé « Aux portes du pays », sur l’île Sainte-Hélène : « L’avenir du Québec ne se décidera plus à Terre-Neuve, au Manitoba ou ailleurs ! »

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PHOTO D’ARCHIVES Après l’échec de l’accord du lac Meech, plus de 250 000 Québécois ont marché sur la rue Sherbrooke, à Montréal, pour le défilé de la Saint-Jean-Baptiste.
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Le spectacle de la Saint-Jean du 25 juin à l’île Sainte-Hélène, à Montréal, a réuni 140 000 personnes sous le thème « Le Québec aux portes du pays ». Il mettait en vedette Gilles Vigneault, Diane Dufresne, Paul Piché, Laurence Jalbert et Michel Rivard.
PHOTO D’ARCHIVES du 26 juin 1990. Le spectacle de la Saint-Jean du 25 juin à l’île Sainte-Hélène, à Montréal, a réuni 140 000 personnes sous le thème « Le Québec aux portes du pays ». Il mettait en vedette Gilles Vigneault, Diane Dufresne, Paul Piché, Laurence Jalbert et Michel Rivard.
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JEAN-CLAUDE RIVEST Ancien conseiller de Robert Bourassa
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Journal de Montréal
La une du Journal de Montréal

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