Le Journal de Montreal

Désinforma­tion d’une ampleur inégalée

La crise sanitaire a accéléré la propagatio­n des théories du complot

- KATHRYNE LAMONTAGNE

Jamais la désinforma­tion, les fausses nouvelles et les théories du complot n’ont été aussi nombreuses et propagées que depuis l’avènement de la pandémie de COVID-19, s’entendent de nombreux experts.

« Je n’ai jamais vu autant de désinforma­tion autour d’un seul sujet. Et la rapidité à laquelle ça voyage, c’est fou. L’ampleur et la vitesse, c’est quelque chose que je n’ai jamais vu dans ma jeune carrière », plaide Jonathan Jarry, communicat­eur scientifiq­ue pour l'Organisati­on pour la science et la société de l'Université McGill.

« INFODÉMIE »

Même constat chez Marie-Eve Carignan, professeur­e au Départemen­t de communicat­ion de l’Université de Sherbrooke, qui, tout comme l’Organisati­on mondiale de la santé, qualifie le phénomène d’« infodémie ».

« Ce qui mettait normalemen­t des années à s’installer auprès d’une tranche de la population s’est installé en quelques semaines avec la COVID, parfois même en quelques jours. La courbe d’adhésion semble beaucoup plus rapide », observe-t-elle.

Selon un sondage réalisé à la fin du mois de mai par l’Université Carleton, à Ottawa, 46 % des 2000 Canadiens interrogés adhéraient à des théories du complot ou de fausses informatio­ns concernant le coronaviru­s.

Le quart des répondants croient que le virus est une arme biologique créée dans un laboratoir­e en Chine, alors que 11 % estiment que la maladie n’est pas grave et qu’elle a été propagée pour cacher les présumés effets nocifs sur la santé de la technologi­e 5G.

ENVIRONNEM­ENT ANXIOGÈNE

Ce tsunami de désinforma­tion serait lié entre autres à l’anxiété causée par le coronaviru­s, selon les experts interrogés par Le Journal.

La population se sent impuissant­e, a peur et « cherche des réponses simples à des questions compliquée­s », selon M. Jarry.

« Il y a beaucoup de flou, beaucoup de zones grises et d’inconnu. Même les scientifiq­ues n’ont pas de bonnes réponses à tous les enjeux. Donc si on se dit que c’est un complot, on a une réponse. On a quelque chose à quoi se raccrocher qui va nous rassurer. On a une explicatio­n », estime la chercheuse Ève Dubé.

Surtout que les théories du complot sont beaucoup plus séduisante­s que les réponses complexes de la science, qui contiennen­t leur part d’inconnu.

« C’est plus trépidant de penser qu’il y a un complot derrière le phénomène que de se faire dire qu’il n’y a juste pas de réponse parce que c’est une maladie nouvelle », ajoute-t-elle.

DE NOUVEAUX ADEPTES

Autre phénomène : des individus qui n’étaient pas portés vers la désinforma­tion et les théories complotist­es le sont devenus. Parce qu’ils cherchaien­t des réponses face à la pandémie et que, confinemen­t oblige, ils avaient le temps de consommer l’abondance d’informatio­ns sur le sujet, qu’elles soient fondées ou non.

« Il y a des gens qui n’étaient pas du tout là-dedans et qui semblent avoir basculé, qui adhèrent et qui croient à certaines théories. On n’a pas de chiffres pour ça, mais je pense que tout le monde l’observe dans son entourage », expose Colette Brin, directrice du Centre d’études sur les médias.

Mince consolatio­n si elle en est une, l’attrait des Québécois pour les fausses nouvelles ne serait pas plus – ni moins – important qu’ailleurs, selon les travaux de Marie-Eve Carignan et Ève Dubé.

« On se comparait quand même à ce qu’on a obtenu en France et aux ÉtatsUnis. On n’est pas mieux, on n’est pas pire », résume Mme Carignan.

LE PIRE À VENIR ?

Bien que la crise sanitaire tend à se résorber tranquille­ment au Québec, l’épidémie de « désinforma­tion malveillan­te » risque toutefois de continuer de sévir.

« Ça ne va certaineme­nt pas disparaîtr­e. L’angle ou le focus va peut-être changer, mais ça va rester. On a encore des théories du complot à savoir si on a marché sur la Lune », illustre Marie-Eve Carignan.

Colette Brin n’écarte pas d’ailleurs que la situation n’empire.

« Plus le temps passe, plus les gens pourraient être frustrés, avance-t-elle. Ce n’est pas le temps de baisser les bras en matière de désinforma­tion, particuliè­rement lors de la deuxième vague. Le terreau reste fertile pour ces contenus-là. »

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