Le Journal de Montreal

Les déraisonna­bles

Toutes les sociétés sont traversées par des lignes de fracture qui les coupent en deux.

- RICHARD MARTINEAU richard.martineau@quebecorme­dia.com

Au Québec, dans les années 1980-90, deux camps s’opposaient : le OUI et le NON.

Tu étais souveraini­ste ou fédéralist­e. Pas d’entre-deux.

Ce débat divisait même les familles.

ENRACINÉS / DÉRACINÉS

Ensuite, quand le projet souveraini­ste est tombé dans un profond coma au lendemain du deuxième référendum, le Québec a découvert l’opposition gauche-droite.

Les défenseurs d’un État fort et omniprésen­t contre les chantres de la responsabi­lité et de la liberté individuel­les.

Depuis quelque temps, le débat s’est déplacé sur l’axe nationalis­te-mondialist­e.

Les citoyens qui ne jurent que par l’État-nation contre les adeptes des structures supranatio­nales comme l’ONU, l’OMS et l’Union européenne.

Ou, comme certains diraient, les enracinés contre les déracinés.

Les gens attachés à leur culture, à leur histoire et à leur pays contre les citoyens du monde pour qui la Terre n’est qu’un vaste hôtel.

Il suffit d’un ordi et d’une connexion internet pour être chez soi partout.

Je ne suis ni prophète ni sociologue, mais je vois une autre ligne de fracture se pointer le bout du nez, une ligne de fracture qui, je crois, divisera les sociétés occidental­es pour les prochaines années.

Les raisonnabl­es contre les déraisonna­bles.

La raison et la science contre l’idéologie et la religion.

LA RAISON CONTRE L’INTUITION

Les raisonnabl­es abordent la réalité objectivem­ent, sans préjugé ni a priori.

Ils basent leur jugement sur des faits bruts, des données factuelles.

Que dit la science sur tel et tel sujet ? Que nous permettent de conclure les dernières études, les plus récentes recherches ?

Alors que les déraisonna­bles jugent toujours la réalité à la lumière de leur idéologie ou de leur foi.

Ce n’est pas la science qui est importante pour eux : c’est leur intuition, leur émotion. Ce qu’ils croient.

Ce qu’ils ressentent.

Regardez ce qu’il se passe avec la COVID-19.

Il y a ceux qui privilégie­nt l’approche scientifiq­ue.

Voici les faits. Voici les chiffres. Voici les plus récentes données. Voici ce qu’on sait sur le virus et la pandémie.

Voici ce qu’il se passe dans tel et tel pays, dans telle et telle région.

Voici l’âge des dernières victimes, leur historique médical, etc.

Et il y a ceux qui laissent leur idéologie ou leur religion teinter leur jugement.

« C’est sûrement un complot. Je suis persuadé qu’on nous ment. Il n’y a pas de fumée sans feu. Mon gourou dit que… Mon youtubeur préféré croit que… »

C’est comme si ces gens portaient des lunettes avec des verres colorés.

Ils ne voient pas la réalité telle qu’elle est. Mais telle qu’elle leur paraît à travers leurs verres.

Ils portent des verres rouges ? La réalité est rouge.

Ils portent des verres bleus ? La réalité est bleue.

Il y a toujours un filtre entre eux et le réel.

LES LUMIÈRES TAMISÉES

Quelque chose me dit que ce fossé qui sépare raisonnabl­es et déraisonna­bles ne cessera de s’élargir au cours des prochaines années.

À cause des médias sociaux. Du cynisme généralisé. Et du retour de la religion, des conspirati­ons et des superstiti­ons.

Après l’âge des Lumières, l’âge sinon des ténèbres, comme le disait Denys Arcand, du moins du clair-obscur.

Les scientifiq­ues ne l’auront pas facile…

La science et la raison contre la religion et les superstiti­ons.

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Une manifestat­ion contre le port du masque il y a une semaine à Montréal.
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