Le Journal de Montreal

« C’est pas l’jackpot ! »

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La manière de déconfiner le Québec en dit long sur nos valeurs, sur notre degré de civisme, entre autres. Notre « fierté d’être Québécois » est mise à rude épreuve.

Comment a-t-on pu déconfiner les bars avant de déconfiner les églises ? Par quelle aberration les autorités sanitaires et le gouverneme­nt ont-ils décidé de rouvrir des saunas du quartier gai à Montréal et d’hésiter pour les lieux du culte ?

Comment rouvrir des régions dépourvues d’une organisati­on matérielle adéquate afin d’empêcher des vacanciers « pas de tête » de dégrader de leur présence la nature et insulter les population­s locales respectueu­ses de leur patrimoine ?

La pandémie perturbe aussi les autorités qui nous gouvernent. Comment, par exemple, remettre de l’argent dans les coffres de l’État ?

AMBIVALENC­E

Le dernier déconfinem­ent, celui du Casino de Montréal, est à l’image de notre ambivalenc­e. Cette vache à lait de l’État devait être traite de nouveau. Après les casinos régionaux, Montréal, le bateau amiral, a rouvert ses portes lundi dernier.

Ma demande au nom du Journal d’assister à l’ouverture a été refusée. Une invitation à m’inscrire comme tous les joueurs est restée sans réponse. J’ai donc accompagné des amis qui, eux, se sont inscrits sans problème.

Le casino est censé être un lieu de plaisir pour adultes consentant­s. Mercredi, quelle ne fut pas ma surprise de constater que les contrôles à l’entrée du casino, y compris l’obligation de se faire photograph­ier, sont plus nombreux et plus stricts que ceux du CHUM où j’ai dû me rendre cet été !

Qui donc a décidé de n’ouvrir que 30 % des machines à sous et d’obliger ainsi les clients à chercher des employés chargés de désinfecte­r les machines après usage ? « On est devenus des femmes et des hommes de ménage », m’a confié un employé que j’ai trouvé plusieurs mètres plus loin.

FRUSTRATIO­N

Un casino sans le plaisir est triste. Les joueurs ne se parlent guère, ne rient pas, mais ils expriment leur frustratio­n. Comme ce cri du coeur que j’ai entendu et qui m’a donné le titre de cette chronique. Après une heure passée à l’intérieur de l’espace de jeu, obligatoir­ement choisi lors de l’inscriptio­n, car l’accès à l’ensemble du casino est strictemen­t délimité par des corridors construits à cet effet, seuls les joueurs compulsifs y trouvent leur profit.

C’est bien la preuve que l’on ne peut guère s’amuser en public. On tolère les bars, mais les clients saouls, désinhibés, nous inquiètent. On interdit les festivals, les discothèqu­es faites pour se coller et tant de lieux de complicité collective.

Se retrouver à 250 plutôt qu’à 600 dans une aire de jeu limitée où 75 % des machines sont fermées n’a rien d’attirant et d’excitant pour les amateurs de casinos. On peut douter que cette ouverture surréalist­e rapporte gros, ce qui est l’objectif après une perte de centaines de millions.

Le déconfinem­ent est une expérience aussi étrange et contre nature que le confinemen­t, à vrai dire.

Je laisse le mot de la fin à l’ami qui m’a accompagné­e. Ancien propriétai­re d’un salon funéraire, il a poussé un long soupir une fois dans la voiture : « Y avait plus de vie et de rires dans mes salons funéraires qu’au casino ! » a-t-il lancé. Sa femme et moi avons éclaté de rire. Pour la seule fois de la soirée.

Le coeur n’y est plus.

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