L’OMERTA BRISÉE
Le mafieux Andrew Scoppa confie ses secrets
Il est rarissime d’avoir un accès aussi direct au monde de la mafia italienne montréalaise. À quel point a-t-il été ardu de gagner la confiance de l’un de ses membres les plus influents ?
Félix Séguin (F.S.) : Ça a pris des années. C’est un travail qui s’étend sur une quinzaine d’années pendant lesquelles tu essaies, par des contacts, de montrer ton intérêt à rencontrer des gens du milieu interlope. C’est beaucoup d’appels et d’efforts.
Eric Thibault (E.T.) : Il faut comprendre que c’est une source d’exception. Il y a déjà eu des motards [criminalisés] qui nous ont parlé, à Félix et à moi, et qui nous ont même donné des informations. Mais dans la mafia italienne, ça n’existe pratiquement pas. C’est l’omerta. Tu ne parles pas de ce que tu fais et de ce que tu sais. Surtout pas à des journalistes. Je ne connais pas de précédent ailleurs au pays [...] On ne parle pas [des confessions] d’un exécutant ou d’un simple subalterne, mais de celles d’un chef qui a déjà été considéré par la police comme le parrain intérimaire de la mafia montréalaise.
Comment se déroulaient vos rencontres avec Andrew Scoppa ? Deviez-vous prendre des précautions particulières ?
F.S. : J’ai été en contact avec cette source pendant cinq ans. Comme tout bon criminel, il avait une panoplie de cellulaires et de téléavertisseurs qu’il utilisait pour contrecarrer les plans de la police. Pour communiquer avec lui, il m’avait attribué un code : 6181. On a aussi fait des rencontres dans des chambres d’hôtel. [...] À un certain moment, on a baissé la garde. Je passais le prendre en voiture. Il arrivait, tête baissée et casquette sur la tête. Il embarquait à côté de moi et on se promenait dans la ville.
À certains moments, aviez-vous des craintes pour votre sécurité ? Étiez-vous conscients des risques à être aux côtés d’un membre du crime organisé ?
E.T. : On savait que ce gars-là avait un contrat sur la tête et qu’il fallait prendre des précautions. On ne se rencontrait pas dans un restaurant ou un endroit clos. [...] Quand Scoppa s’est fait tuer [en octobre 2019], on avait tout le matériel pour le livre. Ç’a été le début d’une année où on a vécu dans le secret. Il fallait prendre des précautions pour ébruiter le moins possible ce qu’on faisait pour ne pas que ça vienne aux oreilles de gens du crime organisé qui auraient pu vouloir nous empêcher de sortir ce livre-là.
F.S. : Non, je n’ai pas eu peur [...] Il y avait un risque calculé, mais bien réel, d’être pris dans une situation où quelqu’un veuille le tuer, ce qui est tout à fait plausible, et que ça arrive une journée où on est avec lui. J’y ai pensé pendant cinq ans à ça. [...] Mais l’instinct professionnel finit par l’emporter. Tu sais qu’une occasion comme ça n’arrivera pas deux fois.
Comment croyez-vous que votre livre sera reçu par le milieu criminel ?
E.T. : L’ancien journaliste du Journal de Montréal Michel Auger, que l’on cite dans notre livre, a déjà dit : « Ce ne sont pas tous les criminels qui passent dans Le Journal, mais tous lisent Le Journal ». Ça les intéresse de lire ce qu’on écrit sur eux. Ils vont peut-être même apprendre des choses.