Un mafieux était source de police
Andrew Scoppa informait les enquêteurs pendant qu’il dirigeait la mafia montréalaise, révèle un nouveau livre
L’ex-parrain intérimaire de la mafia montréalaise, Andrew Scoppa, était à la fois informateur de police et source journalistique pendant qu’il tentait de prendre la succession des Rizzuto.
C’est ce qu’on apprend dans le nouveau livre La Source, des journalistes Félix Séguin et Eric Thibault, auquel le défunt chef de clan a lui-même collaboré en brisant l’omerta par ses confidences sur sa vie au sein de la mafia.
Scoppa, dont le vrai prénom est Andrea, a été assassiné par balles le matin du 21 octobre 2019, en face du gymnase où il allait s’entraîner dans l’ouest de Montréal.
Dès l’automne 2014, ce narcotrafiquant millionnaire de 55 ans avait accepté de devenir une source confidentielle du journaliste Félix Séguin, de notre Bureau d’enquête, en le rencontrant à de multiples reprises et en lui fournissant des informations sur le crime organisé de souche italienne.
Le Montréalais d’origine calabraise, qui comptait parmi les confidents du défunt parrain Vito Rizzuto, s’est ensuite retrouvé avec son frère cadet, Salvatore Scoppa, au centre d’une guerre de pouvoir sanglante les opposant aux nouveaux leaders du clan Rizzuto.
RÉVÉLATIONS INÉDITES
Les policiers avaient appris l’un des motifs de ce bras de fer pendant l’enquête baptisée Magot, où ils ont notamment épié à leur insu une réunion des deux dirigeants du clan sicilien, Stefano Sollecito et Leonardo Rizzuto – le fils de Vito Rizzuto –, avec Gregory Woolley, que les autorités qualifiaient de « parrain » des gangs de rue à Montréal, en août 2015.
Les trois hommes ne faisaient plus confiance aux frères Scoppa et se doutaient qu’il y avait une taupe parmi eux.
Selon ce que les deux journalistes précisent dans La Source, Andrew Scoppa agissait comme informateur de plusieurs enquêteurs de police depuis des années.
Sollecito, Rizzuto et Woolley ont été emprisonnés dès novembre de la même année. Andrew Scoppa a ensuite été considéré par les forces de l’ordre comme le parrain intérimaire de la mafia montréalaise jusqu’à son arrestation dans l’enquête antidrogue Estacade, en février 2017.
Les auteurs amènent d’ailleurs les lecteurs au coeur de cette enquête ayant mené à la saisie d’une centaine de kilos de cocaïne dans la Tour des Canadiens, au centre-ville de Montréal.
La police avait notamment traqué le chef mafieux en camouflant un micro dans son véhicule. Scoppa disait déjà craindre de se faire tuer de deux balles « dans la noix de coco ».
RIVALITÉ ET VENDETTA
Le 4 mai 2019, son frère Salvatore est mort criblé de balles lors d’une fête familiale, dans un hôtel à Laval.
Sachant que sa tête était mise à prix et qu’il n’en avait peut-être plus pour longtemps à vivre, Andrew Scoppa a consenti à collaborer au projet de livre des deux journalistes en révélant plusieurs secrets de la mafia lors d’une série de rencontres qu’ils ont tenues à l’étranger pour des raisons de sécurité.
Entre autres, Scoppa dévoile des détails inédits sur le règne du parrain Vito Rizzuto, ainsi que sur les meurtres de son fils aîné, Nick Jr, et son père, Nicolo, il y a une dizaine d’années.
Scoppa s’ouvre également sur sa rivalité avec Sollecito, qu’il voyait comme son pire ennemi, et sur la vendetta meurtrière que son frère, Salvatore, aurait menée aux dépens du clan sicilien.
« Il voulait tous les tuer [...] et il en a eu plusieurs », a-t-il déclaré aux auteurs.
« LA SEULE OPTION... »
Andrew Scoppa a lui-même admis avoir trempé dans des meurtres.
« Oui, c’est triste. Parce que dans ce milieu, tu le fais pour une seule raison : l’argent. Tu prends des vies pour assurer ton profit. En ce qui me concerne, quand ça m’est arrivé personnellement, c’était parce que c’était la seule option », a prétexté ce criminel redouté.
Deux mois avant de se faire tuer, le défunt seigneur de la mafia a d’ailleurs confié à quel point il était tenaillé par l’anxiété et la peur de mourir.
Les deux journalistes expliquent qu’advenant sa mort, Scoppa leur avait laissé le libre choix de diffuser ses révélations en levant la confidentialité sur son identité.
« Si tu sèmes l’amour autour de toi, tu reçois de l’amour en retour. Mais si c’est du sang que tu fais couler, tu devrais aussi goûter à ta propre médecine. Qui vit par l’épée périt par l’épée. Du moins, c’est comme ça que je vois les choses », s’était-il résigné à croire.