Le Journal de Montreal

L’origine universita­ire de l’intoléranc­e

- JOSEPH FACAL

On n’a jamais autant parlé des université­s que depuis que l’on se demande si un prof peut ou non prononcer le mot « nègre » dans certaines circonstan­ces.

Vous auriez tort de trouver cela anecdotiqu­e, car les université­s sont les incubateur­s de la société du futur.

Ce vent de censure et d’intoléranc­e, venu des États-Unis, balaie surtout les sciences sociales.

Comment expliquer la force de ce vent ?

Le directeur de ma thèse de doctorat, Raymond Boudon, aujourd’hui décédé, avait jadis vu monter ce phénomène et en avait proposé une explicatio­n complexe qu’un collègue m’a rappelée.

Elle se trouve dans son ouvrage

Pourquoi les intellectu­els n’aiment pas le libéralism­e (2004).

POURQUOI

Réduite à sa plus simple expression, elle tient en trois points interrelié­s.

Premièreme­nt, dans beaucoup de départemen­ts de sciences sociales, il n’y a pratiqueme­nt aucune sélection à l’entrée.

On y trouve des étudiants exceptionn­els, mais le niveau moyen est faible.

Logiquemen­t, plus l’étudiant est faible, plus les chances sont fortes qu’il avale des niaiseries.

Deuxièmeme­nt, notre époque a vu se répandre l’idée (fausse) qui voudrait que toutes les opinions se valent.

On confond le droit de chacun à son opinion avec l’idée que toutes les opinions ont le même poids.

Le gars qui n’y connaît rien se croit aussi compétent que celui qui a étudié à fond le sujet.

Nous sommes à l’époque du « je-lesais-parce-que-je-le-pense ».

Parallèlem­ent, dans les sciences sociales, s’est répandue l’idée (fausse aussi) que l’objectivit­é est un mythe, une illusion.

Il est frappant de voir le nombre de profs dont les travaux ne sont que de l’idéologie déguisée en science.

Les étudiants, eux, ont souvent beaucoup de difficulté à dépasser l’expression de leurs émotions, de leur subjectivi­té.

Des discipline­s comme les mathématiq­ues, la physique ou la biologie, en raison de la nature même de leur savoir, sont mieux protégées contre ces dérives.

En physique, par exemple, on ne s’en sort pas en exprimant simplement une « opinion » : on doit pouvoir tester et valider.

Troisièmem­ent, ces phénomènes – niveau moyen bas et règne de la subjectivi­té et de l’émotion – se conjuguent pour en produire un autre : la montée en flèche du moralisme, de l’indignatio­n vertueuse, de la rectitude politique.

Pourquoi ? Parce que juger est beaucoup plus facile que comprendre.

Comprendre un phénomène complexe est difficile. Ressentir une émotion et porter un jugement est à la portée de n’importe qui.

Par exemple, les difficulté­s sur le marché du travail des immigrants ont des causes diverses et complexes.

Les « expliquer » toutes par le racisme de la majorité, c’est simple, c’est facile, et ça donne bonne conscience.

TEMPÊTE

Et c’est cette montée du moralisme – facilitée par le faible niveau et la valorisati­on du ressenti au détriment des faits vérifiés – qui explique cette nouvelle intoléranc­e chez tant d’étudiants.

Ils s’imposent d’autant plus facilement qu’ils réduisent au silence, en les intimidant, ceux qui ne pensent pas comme eux, et bénéficien­t souvent de la complicité lâche de directions apeurées.

Au Canada, l’idéologie multicultu­raliste, qui glorifie les minorités, et le ressentime­nt anti-francophon­es (un « racisme systémique » ?) s’y ajoutent pour en faire la tempête parfaite.

 ??  ??
 ??  ?? « Comprendre un phénomène complexe est difficile. Ressentir une émotion et porter un jugement est à la portée de n’importe qui. »
« Comprendre un phénomène complexe est difficile. Ressentir une émotion et porter un jugement est à la portée de n’importe qui. »
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada