Le Journal de Montreal

Un homme d’honneur

Pour Jacques Parizeau, si le Oui échouait, ce serait normal de passer immédiatem­ent le flambeau. Pour lui, c’était une question d’honneur.

- JOSÉE LEGAULT josee.legault@quebecorme­dia.com

Il y a 25 ans, le 30 octobre 1995, le regard des médias du monde entier était rivé sur le Québec. Verraient-ils la naissance d’un tout nouveau pays en Amérique ? Le suspense était intenable.

À 49,42 % des voix, le Oui perd de très peu. À Ottawa, le soulagemen­t est spectacula­ire. Le lendemain, Jacques Parizeau, premier ministre et chef du Oui, démissionn­e. Pour les souveraini­stes, c’est le choc.

Depuis, plusieurs attribuent sa décision à sa phrase de la veille sur « l’argent et des votes ethniques ». Or, c’est faux. Il est important de le dire.

M. Parizeau est décédé le 1er juin 2015. Puisqu’il n’est plus là pour en témoigner, je me suis tournée vers son épouse et veuve, Lisette Lapointe. En entrevue hier, je lui ai demandé pourquoi son mari s’était refusé à rester.

Éclairante, sa réponse remet les pendules à l’heure : « La véritable raison est que pendant toutes ces années, il avait amené tellement de gens avec lui dans cette quête, que s’il échouait, pour lui, ce serait normal de passer immédiatem­ent le flambeau. Pour lui, c’était une question d’honneur. »

CLARTÉ CRISTALLIN­E

« S’il ne réussissai­t pas, préciset-elle, pour lui, il fallait que quelqu’un d’autre, avec une autre approche, reprenne le flambeau. Et c’était clair que Lucien Bouchard, avec sa popularité, avait tous les moyens pour le faire. C’était donc évident pour mon mari qu’il y avait une relève. »

C’est d’une clarté cristallin­e. Le jour du référendum, bien avant le résultat, en entrevue sous embargo avec Stéphan Bureau, il s’en était d’ailleurs confié. S’il y avait défaite, « sa » personne ne compterait plus. Seulement la souveraine­té, qu’il voulait voir porter par la « relève ».

Or, contre toute attente, la « relève » préféra mettre l’option en veilleuse. La déception fut telle qu’en 2001, pour la première fois, M. Parizeau dira en entrevue que s’il avait su ce qui se passerait après son départ, il serait resté.

Une autre preuve de la raison de son départ : passer le flambeau. Personne n’avait vu venir que le flambeau resterait orphelin. Dans ses mémoires, l’ex-première ministre Pauline Marois reproche à M. Parizeau d’être parti, mais pour une raison tout à fait étrange.

LA VRAIE QUESTION

Selon elle, il « avait le devoir de prendre la balle au bond […], d’exiger du fédéral qu’il soumette une véritable réforme du fédéralism­e qui respectera­it l’existence d’une nation québécoise. Et, à défaut d’une propositio­n acceptable […], il aurait dû annoncer la tenue d’un nouveau référendum. »

Elle dit le penser encore aujourd’hui. Jacques Parizeau, l’indépendan­tiste, négociant une réforme du fédéralism­e avec Jean Chrétien, le centralisa­teur pur et dur opposé depuis toujours au moindre renforceme­nt du Québec au sein du Canada ? Sur quelle planète, s’il vous plaît ?

Même son successeur, Lucien Bouchard, ne le tentera pas. L’échec brutal de l’Accord du lac Meech en 1990, alors qu’il siégeait à Ottawa sous Brian Mulroney, confirmant déjà qu’il était impossible de réformer le fédéralism­e.

Comme quoi, même 25 ans après le référendum « presque » gagné, la vraie question demeure entière.

Comment se fait-il qu’après le départ de M. Parizeau, convaincu qu’il passait le témoin de la cause souveraini­ste au prochain chef d’un PQ encore bien installé au pouvoir, le contraire se soit produit ?

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Jacques Parizeau
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