Guilbeault entreprend une longue escalade
Ce n’est pas la tour du CN de Toronto dont Steven Guilbeault entreprend l’escalade, mais celle d’un Everest dont il ne mesure peut-être pas la hauteur.
Le projet de loi C-10, rendu public mardi, entend rançonner les géants du numérique pour qu’ils contribuent à la production et à la promotion de contenu canadien, qu’il s’agisse de télé, de film ou de musique.
La loi passera ensuite la main au CRTC, après avoir déterminé que les webdiffuseurs comme Netflix, illico ou Spotify sont désormais sur le même pied que les télédistributeurs traditionnels comme Bell ou Vidéotron, qui doivent contribuer environ 5 % de leurs revenus à la production de contenu canadien.
Si le pourcentage restait à peu près le même, les sommes perçues atteindraient 830 millions de dollars en 2023. Elles seront probablement versées au Fonds des médias et à Téléfilm, ou à un nouvel organisme né de la fusion des deux. Elles seront distribuées ensuite aux créateurs et aux producteurs selon des règles à établir.
LE MILIEU CULTUREL EXULTE
La perspective d’une manne pareille a fait sauter de joie tout le milieu culturel. Quand j’écris « tout le milieu », ça ne saurait être plus vrai. Les instructions qui seront données par le gouvernement au CRTC spécifieront de ne pas oublier les « personnes handicapées, les groupes racisés, les communautés de langue officielle en situation minoritaire, les femmes et la communauté LGBTQ2+ ». Sans compter les Autochtones, évidemment.
Ne sabrons pas le champagne trop vite. Il y a encore loin de la coupe aux lèvres.
Le projet de loi comporte trop d’inconnu pour qu’un gouvernement minoritaire puisse le faire adopter rapidement. En conférence de presse, le ministre Guilbeault a déclaré qu’après son adoption, il recommandera au cabinet de donner neuf mois au CRTC pour instruire une consultation et tout implanter.
Neuf mois pour inventer un nouveau CRTC muni d’importants pouvoirs qui devra mettre en oeuvre un programme très complexe, alors qu’il aura fallu quatre ans pour accoucher de ce premier projet de loi. Croisons les doigts !
DES BOIS DANS LES ROUES
C’est sans parler des bois dans les roues que ne manqueront pas de multiplier les géants du numérique. Même Netflix, le plus docile de tous, n’acceptera pas sans rechigner qu’on ponctionne ses revenus pour produire du contenu sur lequel il n’a rien à dire et ne détient aucun droit.
Actuellement, Netflix dépense au Canada deux à trois fois plus que les 5 % qu’il pourrait être appelé à contribuer si la loi est adoptée. Netflix produit ce qu’il veut, détient les droits qu’il décide et une partie substantielle de ses dépenses est consacrée à des productions qui n’ont rien de canadien.
Quand la loi C-10 sera adoptée, mais avant même la mise en oeuvre de toutes les réformes qu’elle entraînera, le ministre Guilbeault ne sera qu’à mi-chemin du sommet. Le groupe d’experts de Janet Yale, chargé d’examiner la loi sur la radiodiffusion et celles sur les télécommunications et la radiocommunication, lui a assigné ainsi qu’à son sherpa Navdeep Bain, ministre de l’Innovation, un itinéraire très chargé.
Leur chemin vers le sommet comporte aussi la révision du mandat de Radio-Canada, la protection des données et de la propriété intellectuelle, la défense de nos journaux et de nos magazines contre le piratage de Google, le déploiement de la capacité à large bande en région et plus encore.
Bonne escalade, monsieur le ministre!
Ne sabrons pas le champagne trop vite.