Le désespoir des danseurs
On a vu tourner, sur les réseaux sociaux, ces derniers jours, cette scène loufoque où des hommes et des femmes, rassemblés à la Place Rosemère, un centre commercial de la Rive-Nord de Montréal, dansent ensemble, pour braver la COVID et les règles sanitaires.
La scène, à bon droit, consterne, choque et révolte. Alors que les Québécois, globalement, respectent les règles sanitaires et vivent ces temps-ci dans l’espoir de se voir à Noël, ces hurluberlus se sont transformés en dissidents de carnaval qui pourraient tout gâcher. On aurait envie de les traiter d’abrutis. De quel droit sabotent-ils l’effort collectif ?
DÉSESPOIR
Mais je le confesse : après la colère passée, j’ai surtout eu pitié de ces pauvres bougres et j’ai vu dans leurs gesticulations bien moins d’insouciance que de désespoir.
À force de vivre enfermés dans un environnement anxiogène, ils deviennent fous.
Le confinement engendre des poussées d’irrationalité collective. On ne comprendra rien à la popularité des théories complotistes si on n’y voit pas une tentative de trouver un sens à ce qui semblait il y a quelques mois inconcevable.
Enfermés chez eux, branchés sur leur ordinateur, hypnotisés par les réseaux sociaux, ils sont nombreux à y trouver une explication globale aux événements, et à se convaincre que nous sommes victimes d’une manipulation à grande échelle.
Ils trouvent en ces théories un refuge.
Par ailleurs, on aurait tort d’assimiler au conspirationnisme toute critique de la gestion de la pandémie.
Il y avait peut-être une douceur poétique lors des premières semaines du premier confinement. Il n’en reste plus rien. Nous sommes désormais condamnés à une existence diminuée, étouffante, asphyxiante.
Et les centres commerciaux sont devenus des lieux de rassemblement par défaut, ce qui en dit beaucoup sur les valeurs fondamentales de notre société. Il fallait garder l’économie vivante, soit. Je n’en doute pas.
Il aurait aussi fallu garder ouverts quelques lieux de socialisation pour que les gens puissent se voir ailleurs qu’entre deux rayons commerciaux ou clandestinement à l’abri des voisins. À tout le moins, que le gouvernement ouvre les restaurants pour Noël. Ils seront bien plus sécuritaires que bien des rassemblements familiaux.
À la crise s’ajoute le discours culpabilisant et infantilisant d’un État étranger à l’autocritique, mais ne s’interdisant jamais le plaisir de faire des sermons.
NOËL
Nos gouvernements ne résistent pas à la tentation de l’infantilisation qui devient exaspérante. Nous aurons droit à une trêve de Noël supervisée par des experts de la Santé publique. Ottawa nous dit même à quel volume mettre la musique.
Retour aux danseurs de Rosemère. Ces pauvres hères méritaient les tomates symboliques qu’ils ont reçues. Leur geste, qui se voulait dissident, se retournera contre l’ensemble de la population, qui espère qu’en janvier, les autorités concéderont quelques libertés supplémentaires.
Étrangement, on peut croire que ces danseurs de centre d’achat lançaient un cri de détresse. Si la vie ne trouve pas d’espaces légitimes où s’exprimer, elle explosera de manière anarchique.