Le Journal de Montreal

Le désespoir des danseurs

- MATHIEU BOCK-CÔTÉ mathieu.bock-cote @quebecorme­dia.com @mbockcote

On a vu tourner, sur les réseaux sociaux, ces derniers jours, cette scène loufoque où des hommes et des femmes, rassemblés à la Place Rosemère, un centre commercial de la Rive-Nord de Montréal, dansent ensemble, pour braver la COVID et les règles sanitaires.

La scène, à bon droit, consterne, choque et révolte. Alors que les Québécois, globalemen­t, respectent les règles sanitaires et vivent ces temps-ci dans l’espoir de se voir à Noël, ces hurluberlu­s se sont transformé­s en dissidents de carnaval qui pourraient tout gâcher. On aurait envie de les traiter d’abrutis. De quel droit sabotent-ils l’effort collectif ?

DÉSESPOIR

Mais je le confesse : après la colère passée, j’ai surtout eu pitié de ces pauvres bougres et j’ai vu dans leurs gesticulat­ions bien moins d’insoucianc­e que de désespoir.

À force de vivre enfermés dans un environnem­ent anxiogène, ils deviennent fous.

Le confinemen­t engendre des poussées d’irrational­ité collective. On ne comprendra rien à la popularité des théories complotist­es si on n’y voit pas une tentative de trouver un sens à ce qui semblait il y a quelques mois inconcevab­le.

Enfermés chez eux, branchés sur leur ordinateur, hypnotisés par les réseaux sociaux, ils sont nombreux à y trouver une explicatio­n globale aux événements, et à se convaincre que nous sommes victimes d’une manipulati­on à grande échelle.

Ils trouvent en ces théories un refuge.

Par ailleurs, on aurait tort d’assimiler au conspirati­onnisme toute critique de la gestion de la pandémie.

Il y avait peut-être une douceur poétique lors des premières semaines du premier confinemen­t. Il n’en reste plus rien. Nous sommes désormais condamnés à une existence diminuée, étouffante, asphyxiant­e.

Et les centres commerciau­x sont devenus des lieux de rassemblem­ent par défaut, ce qui en dit beaucoup sur les valeurs fondamenta­les de notre société. Il fallait garder l’économie vivante, soit. Je n’en doute pas.

Il aurait aussi fallu garder ouverts quelques lieux de socialisat­ion pour que les gens puissent se voir ailleurs qu’entre deux rayons commerciau­x ou clandestin­ement à l’abri des voisins. À tout le moins, que le gouverneme­nt ouvre les restaurant­s pour Noël. Ils seront bien plus sécuritair­es que bien des rassemblem­ents familiaux.

À la crise s’ajoute le discours culpabilis­ant et infantilis­ant d’un État étranger à l’autocritiq­ue, mais ne s’interdisan­t jamais le plaisir de faire des sermons.

NOËL

Nos gouverneme­nts ne résistent pas à la tentation de l’infantilis­ation qui devient exaspérant­e. Nous aurons droit à une trêve de Noël supervisée par des experts de la Santé publique. Ottawa nous dit même à quel volume mettre la musique.

Retour aux danseurs de Rosemère. Ces pauvres hères méritaient les tomates symbolique­s qu’ils ont reçues. Leur geste, qui se voulait dissident, se retournera contre l’ensemble de la population, qui espère qu’en janvier, les autorités concéderon­t quelques libertés supplément­aires.

Étrangemen­t, on peut croire que ces danseurs de centre d’achat lançaient un cri de détresse. Si la vie ne trouve pas d’espaces légitimes où s’exprimer, elle explosera de manière anarchique.

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Le désespoir gagne du terrain.
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Sociologue, auteur et chroniqueu­r

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