Revoir comment on juge les juges
Scrutée par le public, la magistrature gagnerait à revoir son processus disciplinaire selon un expert
Les bourdes et les faux pas des juges attirent plus que jamais l’attention, car le public a des attentes élevées envers la magistrature, selon un professeur de droit qui estime que cette dernière aurait donc intérêt à moderniser son processus disciplinaire.
« L’appui du public envers la justice est très fort, mais ça crée des attentes hyper élevées. L’institution est un refuge quand on remet en question les décisions législatives, mais ça augmente la pression », explique le professeur de droit Pierre Noreau, spécialiste entre autres de déontologie judiciaire.
La juge retraitée Nicole
Gibeault abonde dans le même sens, rappelant que la grande partie de leur travail est public, et donc scruté à la loupe, au point que certains juges se retiennent souvent, de peur de faire des vagues.
DERRIÈRE LA TOGE
« Derrière les toges, il y a des humains avec leur vie, leur passé, et aussi leurs problèmes », dit-elle. Et donc, eux aussi peuvent parfois déraper.
Lorsque c’est le cas, le Conseil de la magistrature peut être saisi du dossier. Qu’importe la décision au terme du processus déontologique, il est crucial qu’elle soit bien comprise afin de ne pas miner la confiance du public envers la justice, note Mme Gibeault. « Les réprimandes sont parfois mal expliquées, et aux yeux du public ça paraît comme une tape sur les doigts, déploret-elle, en prônant une grande transparence. Il faut que ce soit fait pour que le public comprenne. »
PLUS D’OPTIONS DE SANCTIONS
Une solution serait d’élargir le spectre de mesures qui peuvent être prises contre un juge fautif. Pour le moment, entre la réprimande et la destitution, il n’y a pas d’entre-deux, si bien que deux fautes bien différentes peuvent aboutir au même résultat. Selon le professeur Noreau, le Conseil devrait pouvoir ordonner aux juges de suivre des formations ou imposer une suspension. Quand un magistrat commet une bourde, il faut distinguer la « connerie » de la maladresse, illustre-t-il.
« Les limitations actuelles ne rendent pas service à la magistrature », renchérit la juge retraitée Gibeault, évoquant de possibles mesures prises avant même d’aller devant le Conseil, comme un processus de conciliation.
Actuellement, rien n’est simple. Même quand le comportement d’un juge ne passe tout simplement pas, comme pour le juge de la Cour supérieure du Québec, Michel Girouard, qui a fait l’objet d’allégations d’achat de cocaïne d’un membre du crime organisé, en 2012. Le Conseil canadien de la magistrature a recommandé sa destitution, mais le juge a fait traîner l’affaire 8 ans, jusqu’à ce qu’il soit admissible à sa retraite.
Embarrassante, cette affaire a poussé la magistrature à faire pression sur le gouvernement fédéral pour simplifier le processus disciplinaire. La chose suit son cours, mais on ignore si et quand elle pourra aboutir.