Le Journal de Montreal

Revoir comment on juge les juges

Scrutée par le public, la magistratu­re gagnerait à revoir son processus disciplina­ire selon un expert

- MICHAËL NGUYEN

Les bourdes et les faux pas des juges attirent plus que jamais l’attention, car le public a des attentes élevées envers la magistratu­re, selon un professeur de droit qui estime que cette dernière aurait donc intérêt à moderniser son processus disciplina­ire.

« L’appui du public envers la justice est très fort, mais ça crée des attentes hyper élevées. L’institutio­n est un refuge quand on remet en question les décisions législativ­es, mais ça augmente la pression », explique le professeur de droit Pierre Noreau, spécialist­e entre autres de déontologi­e judiciaire.

La juge retraitée Nicole

Gibeault abonde dans le même sens, rappelant que la grande partie de leur travail est public, et donc scruté à la loupe, au point que certains juges se retiennent souvent, de peur de faire des vagues.

DERRIÈRE LA TOGE

« Derrière les toges, il y a des humains avec leur vie, leur passé, et aussi leurs problèmes », dit-elle. Et donc, eux aussi peuvent parfois déraper.

Lorsque c’est le cas, le Conseil de la magistratu­re peut être saisi du dossier. Qu’importe la décision au terme du processus déontologi­que, il est crucial qu’elle soit bien comprise afin de ne pas miner la confiance du public envers la justice, note Mme Gibeault. « Les réprimande­s sont parfois mal expliquées, et aux yeux du public ça paraît comme une tape sur les doigts, déploret-elle, en prônant une grande transparen­ce. Il faut que ce soit fait pour que le public comprenne. »

PLUS D’OPTIONS DE SANCTIONS

Une solution serait d’élargir le spectre de mesures qui peuvent être prises contre un juge fautif. Pour le moment, entre la réprimande et la destitutio­n, il n’y a pas d’entre-deux, si bien que deux fautes bien différente­s peuvent aboutir au même résultat. Selon le professeur Noreau, le Conseil devrait pouvoir ordonner aux juges de suivre des formations ou imposer une suspension. Quand un magistrat commet une bourde, il faut distinguer la « connerie » de la maladresse, illustre-t-il.

« Les limitation­s actuelles ne rendent pas service à la magistratu­re », renchérit la juge retraitée Gibeault, évoquant de possibles mesures prises avant même d’aller devant le Conseil, comme un processus de conciliati­on.

Actuelleme­nt, rien n’est simple. Même quand le comporteme­nt d’un juge ne passe tout simplement pas, comme pour le juge de la Cour supérieure du Québec, Michel Girouard, qui a fait l’objet d’allégation­s d’achat de cocaïne d’un membre du crime organisé, en 2012. Le Conseil canadien de la magistratu­re a recommandé sa destitutio­n, mais le juge a fait traîner l’affaire 8 ans, jusqu’à ce qu’il soit admissible à sa retraite.

Embarrassa­nte, cette affaire a poussé la magistratu­re à faire pression sur le gouverneme­nt fédéral pour simplifier le processus disciplina­ire. La chose suit son cours, mais on ignore si et quand elle pourra aboutir.

 ?? PHOTO D’ARCHIVES CHANTAL POIRIER ?? La juge Eliana Marengo, en marge de son audience devant le Conseil de la magistratu­re, au palais de justice de Montréal, au mois de juin 2019. On lui reprochait d’avoir interdit à une femme de porter le hijab en salle d’audience.
PHOTO D’ARCHIVES CHANTAL POIRIER La juge Eliana Marengo, en marge de son audience devant le Conseil de la magistratu­re, au palais de justice de Montréal, au mois de juin 2019. On lui reprochait d’avoir interdit à une femme de porter le hijab en salle d’audience.
 ??  ?? PIERRE NOREAU Professeur de droit
PIERRE NOREAU Professeur de droit

Newspapers in French

Newspapers from Canada