Le Journal de Montreal

Que fait Ottawa dans les garderies ?

- ANTOINE ROBITAILLE

La création d’un programme pancanadie­n de garderie, annoncé dans le budget Freeland d’hier, est une autre étape dans le développem­ent d’un « fédéralism­e de supervisio­n » dans notre Dominion.

Je sais, divers partis à Ottawa le promettent depuis une trentaine d’années, dont le libéral Paul Martin en 2004.

Je sais, un tel programme est nécessaire à notre époque.

L’expérience du Québec depuis 20 ans a démontré qu’un tel service, bien que coûteux, avait la grande vertu de permettre aux femmes d’accéder beaucoup plus facilement au marché du travail.

C’est excellent, et pour le PIB et pour l’égalité des sexes.

C’est aussi excellent pour les jeunes familles pour qui, sans cela, les frais de garde sont souvent un des plus importants postes budgétaire­s. Parlez-en à des parents de Toronto !

Cela contribue à l’égalité entre les familles. En l’absence de tels programmes, seuls les milieux plus fortunés peuvent se payer des services de garde de qualité. Un système universel a justement cette vertu d’améliorer la qualité des services pour tous.

ENVAHISSEM­ENT

Mais comme souvent au Canada, lorsque quelque chose semble nécessaire et souhaitabl­e, le grand frère fédéral se fout des règles constituti­onnelles et prend l’initiative.

Un programme pancanadie­n de garderie est évidemment un envahissem­ent d’un champ de compétence des provinces.

« Ce serait bien que les politicien­s fédéraux trouvent un jour une idée qui va frapper l’imaginaire dans leurs propres champs de compétence », m’écrivait hier Véronique Hivon, critique péquiste en matière de famille.

Le Québec ayant son propre système depuis le début des années 2000, Hivon voit aussi, de la part d’Ottawa, une sorte de « fédéralism­e de plagiat ».

Certes, Québec sera compensé. À hauteur de 22,6 %, plaidait le ministre des Finances du Québec récemment, dans une entrevue à

La Presse.

Sur 6 milliards de $ par année sur cinq ans, cela peut faire une belle somme.

Mais ce n’était pas précisé dans le budget Freeland d’hier. Une belle bataille Ottawa-Québec en perspectiv­e...

Du reste, que l’on copie le Québec n’est peut-être pas si grave.

Depuis les années 1960, les provinces ont « copié » le système de santé de la Saskatchew­an, comme le soulignait Thomas Mulcair en 2014 lorsqu’il avait promis un système pancanadie­n de garderie. Ce n’est pas l’aspect plagiat, mais celui de « supervisio­n » qui sera le pire. Lorsque le fédéral en profitera pour imposer des normes, des objectifs, etc., et menacera de retenir des sommes.

Supervisio­n : le terme vient de la dissidence du juge Malcom Rowe, de la Cour suprême, le mois dernier, au sujet de la constituti­onnalité de la taxe carbone.

Rowe citait un constituti­onnaliste, Peter Hogg.

Selon ce dernier, lorsque dans un pays fédéral le pouvoir central prépondéra­nt recouvre « complèteme­nt le pouvoir régional », ce pays cesse d’être fédéral.

Dans un tel régime, les provinces peuvent exercer leur compétence comme elles le veulent... « tant qu’elles le font d’une manière autorisée par les lois fédérales » !

Difficile pour une nation comme le Québec de continuer de se développer selon ses propres choix quand une telle dynamique devient la règle.

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