Le Journal de Montreal

Francos et anglos sont maintenant séparés

Le jugement d’hier sur la Loi sur la laïcité de l’État n’a pas calmé les tensions au sein de la société

- ANTOINE LACROIX

Loin d’apaiser les tensions sociales, le jugement qui a invalidé en partie hier la déjà controvers­ée Loi sur la laïcité de l’État pourrait plutôt exacerber la division entre francophon­es et anglophone­s, estiment des experts.

« Ça envoie comme message que ceux qui veulent porter des signes religieux ne peuvent le faire en français, mais qu’ils ont simplement à aller dans une commission scolaire anglophone. [...] C’est très “divisif” tout ça », s’étonne Daniel Turp, constituti­onnaliste et professeur à l’Université de Montréal.

Le juge Marc-André Blanchard a rendu sa décision très attendue hier, suscitant beaucoup de réactions. Le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, a déjà annoncé d’emblée qu’il portait le verdict en appel. (voir autres textes)

Même si le magistrat de la Cour supérieure affirme que la loi 21 « comporte des effets inhibiteur­s importants et qu’elle empiète lourdement sur les droits à la liberté de conscience et de religion », il a statué qu’il devait la maintenir en grande partie, disant en substance avoir les mains liées par l’utilisatio­n de la clause dérogatoir­e par Québec.

« L’utilisatio­n par le législateu­r des clauses de dérogation apparaît excessive, parce que trop large, bien que juridiquem­ent inattaquab­le dans l’état actuel du droit », peut-on lire dans sa décision massive de 240 pages.

« INTERPRÉTA­TION LARGE »

Le juge Blanchard a toutefois estimé que les commission­s scolaires anglophone­s et les élus de l’Assemblée nationale pouvaient être exemptés de l’interdicti­on de ports de signes religieux.

Cette décision fait en sorte qu’il existerait désormais des règles différente­s pour les écoles anglophone­s et francophon­es.

Or, les motifs avancés par le juge pour justifier cette suspension de certaines dispositio­ns de la loi 21 étonnent des experts, puisqu’il utilise un article de la Charte canadienne des droits et libertés venant protéger les minorités linguistiq­ues et leur culture.

« C’est une interpréta­tion très large. [...] Considéran­t que cette loi n’a pas d’incidence linguistiq­ue. Elle porte sur la religion. C’est de nature à ouvrir une boîte de Pandore, croit Louis-Philippe Lampron, professeur en droits et libertés à l’Université Laval. On était déjà pas mal tendu dans les relations entre le gouverneme­nt et les minorités religieuse­s. On rajoute un autre pan à la problémati­que. »

« Cette interpréta­tion me semble erronée, on vient élargir la portée de cet article. C’est potentiell­ement explosif pour la suite des choses », ajoute M. Turp.

LOIN D’ÊTRE FINI

La forte contestati­on de la Loi sur la laïcité de l’État est loin d’être terminée, alors que la Cour d’appel et fort probableme­nt la Cour suprême devront se pencher sur cette décision.

« Le juge a relativeme­nt joué “safe”, il a appliqué la loi et les principes de la Cour suprême [concernant la clause dérogatoir­e]. [...] Il soulève tout de même des éléments qui lui apparaissa­ient problémati­ques », explique M. Lampron, ajoutant qu’on a encore « des années avant de connaître une finalité ».

 ??  ?? Ehab Lotayef, coordonnat­eur de la campagne Non à la loi 21, connaît de nombreuses personnes affectées par cette loi.
Quelques dizaines d’opposants à la loi 21 se sont réunis devant le bureau de François Legault à Montréal, hier, peu après la publicatio­n de la décision de la Cour supérieure.
Ehab Lotayef, coordonnat­eur de la campagne Non à la loi 21, connaît de nombreuses personnes affectées par cette loi. Quelques dizaines d’opposants à la loi 21 se sont réunis devant le bureau de François Legault à Montréal, hier, peu après la publicatio­n de la décision de la Cour supérieure.
 ??  ?? Le jugement rendu hier est un poids de moins pour Zahra Ibrahim, une enseignant­e anglophone qui pourra continuer de porter le voile au travail (à gauche). Elle était parmi les manifestan­ts devant le bureau du premier ministre.
Le jugement rendu hier est un poids de moins pour Zahra Ibrahim, une enseignant­e anglophone qui pourra continuer de porter le voile au travail (à gauche). Elle était parmi les manifestan­ts devant le bureau du premier ministre.

Newspapers in French

Newspapers from Canada