Le Journal de Montreal

La partition tranquille

- ANTOINE ROBITAILLE antoine.robitaille@quebecorme­dia.com

Dans les années 1990, avant et après le référendum sur la souveraine­té, l’idée d’une partition du Québec a été agitée.

Déjà, vingt ans plus tôt, Pierre Elliott Trudeau avait eu cette formule célèbre : « Si le Canada est divisible, le Québec l’est aussi ».

L’idée est explosive, évidemment. Souvenons-nous de l’ex-Yougoslavi­e, où l’idée de partition a fait des ravages. D’où la précaution avec laquelle les adversaire­s officiels de l’indépendan­ce manipulaie­nt publiqueme­nt cette idée.

DÉFUSIONS

Plus d’un quart de siècle après le référendum de 1995, on pourrait toutefois dire qu’une partition s’est opérée au Québec. Une partition tranquille.

Sur la place publique, officielle­ment, la querelle des fusions municipale­s de Lucien Bouchard, à Montréal, suivie des défusions de Jean Charest, s’est faite autour des vertus et des défauts des grandes villes unifiées. Un débat sur la gouvernanc­e, en apparence.

Mais pour avoir couvert ces événements comme reporter, en 2004 et en 2005, j’ai souvenir qu’en filigrane, la volonté de « défusion », dans les secteurs anglophone­s de Montréal, avait aussi à voir avec le refus net de participer à une grande ville à majorité francophon­e.

L’ARTICLE 23

Avec le jugement Blanchard sur la loi 21, concernant la laïcité, la partition tranquille fait des « progrès » importants.

Le juge, de son propre aveu, a choisi de donner une portée extrêmemen­t étendue à l’article 23 de la Charte des droits et libertés fédérale ; article qui garantit les droits à l’instructio­n dans la langue de la minorité.

Avec le temps (et au grand bonheur des communauté­s francophon­es dans le ROC), l’article 23 a été interprété comme accordant une autonomie dans la gestion du réseau scolaire minoritair­e.

Le juge Blanchard s’est saisi de cette poignée pour exempter les commission­s scolaires anglophone­s de l’applicatio­n de la loi 21 (interdicti­on des signes religieux). La Quebec English School Boards Associatio­n (QESBA) l’avait plaidé. Il l’a obtenu.

Plusieurs juristes s’inquiètent toutefois de l’interpréta­tion maximalist­e de l’article 23.

À QUB radio lundi, le chroniqueu­r constituti­onnel et professeur à l’Université Laval Patrick Taillon dressait une liste d’utilisatio­ns de « 23 » allant toujours vers plus d’autonomie au sein du Québec. Taillon lui-même parlait de « partition progressiv­e ».

Le fameux article 23 est invoqué par les organisati­ons anglophone­s actuelleme­nt pour contester la loi 40 sur l’abolition des commission­s scolaires (CS), même si celle-ci contient une exception : des élections et des CS ont été maintenues. Elles contestent les exigences de représenta­tivité et d’éligibilit­é pour l’élection des conseils d’administra­tion des CS.

ESPRIT DE RETRAIT

Déjà pendant la pandémie, en mai 2020, les commission­s scolaires anglophone­s ont signalé qu’elles souhaitaie­nt décider elles-mêmes de la date de réouvertur­e de leurs écoles primaires, peu importe l’échéancier fixé par Québec.

Le même esprit de retrait s’était manifesté en 2018 dans le débat sur l’enseigneme­nt de l’histoire du Québec.

Enfin, un autre juriste, Pierre Trudel, soulignait cette semaine que 23 pourrait servir à « protéger des mesures liberticid­es émanant de ces commission­s scolaires » comme celles prises par « la Commission scolaire L.B. Pearson d’interdire en tout temps et en toutes circonstan­ces de prononcer ou d’écrire un certain mot que certains ont décrété tabou ».

Plus d’un quart de siècle après le référendum de 1995, on pourrait toutefois dire qu’une partition s’est opérée au Québec. Une partition tranquille.

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